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revêt la livrée du lieu, un vêtement de bon drap pour l’hiver et d’une étoffe plus légère pour l’été. Une fois entré, il est assujetti étroitement à la règle. Tout est fixé pour lui : les heures des repas, du lever, du coucher, du travail dans les ateliers. Les actes ne sont plus libres, les relations de famille non plus. L’homme est séparé de sa femme ; les enfans, quand ils ne sont pas sous les mêmes verrous, ne voient leurs parens qu’à de certains jours. C’est comme un abandon de ce qu’il y a de dignité et de charme dans l’existence humaine. Cet abandon est une nécessité ; dans d’autres conditions, ces établissemens n’auraient pas de discipline sérieuse. N’est-il pas juste d’ailleurs qu’entre ceux qui se suffisent et ceux qu’on assiste une inégalité de traitement soit maintenue ? En résumé, ce régime est ce qu’il doit être, ni trop doux, ni trop dur, et il semble qu’au milieu d’habitudes si réglées des écoles d’enfans devaient avoir beaucoup de chances de réussir. C’est le contraire qui est arrivé, et le motif en est que cet ordre superficiel couvre un profond désordre moral.

Au fond, les hommes qui peuplent les maisons des pauvres n’ont, dans les cas les plus fréquens, d’autre tort que d’être tombés à la charge de la communauté. Comment se fait-il que le sens moral soit tout aussi effacé dans ces maisons que dans les prisons et dans les geôles ? Cela tient à ce que le pauvre valide, quand il n’a pas l’audace du mal, en a tous les instincts. Dans aucune classe ne couvent plus de haines contre ceux qui possèdent. Il s’y joint un secret mécontentement de soi qui survit dans les cœurs les plus abrutis, et auquel ils cherchent à échapper par des accès de révolte. Toutes ces influences combinées font d’une maison des pauvres un foyer d’abjection dont nos dépôts de mendicité sont loin d’offrir l’équivalent. Nos dépôts sont des lieux de passage ; les maisons anglaises sont au contraire pour les sujets déclassés un toit de famille où trois gênérations trouvent quelquefois un abri, et que les enfans s’accoutument à regarder comme le seul héritage auquel ils puissent prétendre. Ils en sortent, ils y rentrent suivant leur convenance ou leur caprice, avec la certitude que, quoi qu’il arrive, ils trouveront là un lit et un repas. C’est une tribu à part ; le paupérisme s’y est transmis avec le sang. En compulsant les registres dès paroisses depuis la reine Elisabeth, on a pu reconnaître que, dans un grand nombre de localités, ils contiennent les mêmes noms de pauvres, désignent les mêmes quartiers, et permettent de suivre les traces d’une filiation qui s’est rarement interrompue. Quelques garçons à peine échappent à cette fatalité d’origine, prennent du service dans la marine ou dans l’armée, vont au loin se faire pêcheurs de baleines ou chercheurs d’or, et se préservent ainsi par l’éloignement ou