Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/505

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Personne ne comprenait mieux que le prince Albert la majesté de ces grands spectacles, et nul n’était plus fier que lui de la prospérité de sa patrie d’adoption. De leur côté, les Anglais le considéraient comme le premier de leurs compatriotes : il avait conquis légitimement les lettres de naturalisation qui lui avaient été accordées à l’époque de son mariage. Feld-maréchal, conseiller privé, jouissant d’une dotation annuelle de 30,000 livres sterling, colonel du 11e de hussards et des grenadiers de la garde, gouverneur de Windsor, chevalier de la Jarretière, chancelier de l’université de Cambridge, il méritait tous les honneurs réunis sur sa tête, et lorsqu’en 1857 il reçut le titre de prince-époux, qui le plaçait au-dessus des altesses royales des cours étrangères, ce fut aux applaudissemens de la nation. Les Anglais, qui attachent tant de prix à la vie intérieure et à la sainteté de la relation conjugale, lui savaient gré du bonheur exemplaire qu’il donnait à leur reine. Chaque année ajoutait à la considération sympathique dont son nom était entouré, et chaque jour il acquérait de nouveaux droits à l’estime générale, qui était sa plus belle récompense. De plus en plus dévoué aux études scientifiques, il présidait en 1860 le quatrième congrès de statistique internationale (le premier s’était tenu à Bruxelles en 1853, le second à Paris en 1855, le troisième à Vienne en 1857). L’idée de ces congrès si utiles à l’alliance raisonnée des intérêts publics avait pris naissance lors de l’exposition de 1851, et le prince y attachait avec raison la plus haute importance. Il désirait voir s’établir entre les différens peuples une complète uniformité de poids, de mesures et de monnaies, et dans son remarquable discours du 16 juillet 1860, qui termine dignement le recueil publié par la reine, il insistait sur la nécessité de trouver et d’appliquer de grands principes sur lesquels il fût possible de fonder ce qu’il appelait si bien « l’action commune des peuples. » Il réclamait des cadres uniformes pour les informations à recueillir sur le même ordre de faits dans les différens pays, et de vastes enquêtes résultant de méthodes identiques. « Je serais vraiment heureux, disait-il, si je pouvais espérer que cette réunion posera les bases d’un édifice qui sera naturellement long à construire, et qui exigera de la part des générations futures des efforts laborieux et persévérans, mais qui doit faire faire de grands progrès au bonheur de l’humanité, en amenant les hommes à reconnaître les lois éternelles dont dépend ce bonheur général. »

Le prince Albert se préparait à diriger la nouvelle exposition universelle annoncée pour l’année 1862, et il voyait approcher avec joie une époque où son dévouement pour la science et son amour pour le travail trouveraient tant d’occasions de s’exercer utilement. La Providence en avait autrement décidé. Au commencement du mois de décembre 1861, il s’était rendu à Cambridge, auprès du prince de Galles. Dans le voyage il prit froid, ce qui ne l’empêcha pas d’assister le lendemain à une revue de volontaires. Aussitôt le refroidissement se compliqua d’une fièvre ardente, et le prince se sentit mortellement atteint. Il appela sa fille, la princesse Alice, la pria de veiller sur sa mère, de la préparer au malheur qui était imminent, et, entouré de la famille qu’il chérissait, il mourut le 14 décembre avec la dignité et le calme de l’homme de bien. Privée de cet époux qu’elle appelait elle-même « la vie de sa vie, » la reine fut accablée de