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par des dépêches, par une conduite à la fois prudente et ferme, patiente et résolue, qu’il avait obtenu ses succès. L’affaire de Grèce n’avait qu’une importance secondaire, elle ne laissait pas cependant d’occuper sa place dans la pensée du gouvernement. Un traité de 1832, entre la France, l’Angleterre et la Russie, avait reconnu le petit royaume de Grèce; l’existence de ce nouvel état indépendant était encore une conséquence de la révolution de juillet. L’Angleterre et la Russie, par des motifs divers, voyaient avec jalousie se former en Orient un état chrétien qui pouvait mettre obstacle à leurs desseins; la France au contraire favorisait de tout son pouvoir le succès définitif de l’insurrection grecque, d’abord par sympathie pour un peuple illustre qui avait reconquis lui-même sa liberté, et ensuite pour constituer en Orient un commencement de régénération chrétienne que le temps devait développer. Les puissances contractantes avaient donné à la Grèce le titre de royaume, et pour faciliter ses premiers pas, elles avaient garanti, chacune pour un tiers, un emprunt de 60 millions. Une assez vive opposition s’élevait en France. C’était, disait-on, faire violence à la Grèce, à ses souvenirs, à ses mœurs, que de lui imposer un roi, quand tout la poussait à une république fédérative. Le discours du 18 mai 1833 répondait à ces objections.

Trente ans se sont écoulés depuis cette époque; on peut aujourd’hui apprécier par ses résultats l’œuvre de 1832. Tout n’a pas également réussi dans ce qui fut fait alors, et une révolution récente l’a prouvé; mais la plus grande partie a réussi, c’est ce qui importe dans les œuvres humaines. La Grèce n’a pas cessé d’exister comme état indépendant ; non-seulement elle a duré, mais sa population a doublé en trente ans, son commerce a quadruplé. Aucun pays en Europe n’a fait dans le même laps de temps les mêmes progrès proportionnels. La forme monarchique, tant attaquée, a survécu, du moins jusqu’ici, et l’expérience qui vient de se faire sous nos yeux semble prouver que si la Grèce supporte impatiemment une monarchie, elle peut encore moins s’en passer. Ce qui a succombé, c’est la dynastie bavaroise; mais les puissances contractantes ne pouvaient pas prévoir que le prince Othon n’aurait pas d’enfans, ce qui a été la cause principale de sa chute. En échangeant leur prince bavarois contre un prince danois, les Grecs ont donné tort en apparence aux combinaisons de 1832; ils leur ont donné raison en réalité. Ce qui a dû, dans les derniers événemens, blesser profondément le cœur patriotique de M. le duc de Broglie, c’est la ruine de l’influence française, qu’il avait cru fonder en Orient. Si la France possédait encore un gouvernement parlementaire, la tribune aurait retenti d’accens passionnés contre cette révélation soudaine qui