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faits. Ce concert, cet élan sont déjà moindres depuis qu’il a été de notoriété publique que le gouvernement allait, dans un plan général, englober jusqu’aux apparences du travail professionnel, et non-seulement lui donner une charte, mais lui imprimer le mouvement. Comment les communes, les chambres de commerce, les sociétés libres n’auraient-elles pas désarmé devant deux ministères qui se disputaient l’honneur de fonder coup sur coup et à l’envi des écoles de français, des écoles d’application, même des ateliers d’apprentissage ? Ce temps d’arrêt peut aller jusqu’à l’abandon, si les projets officiels sont maintenus, ne fût-ce que comme menacé ; l’esprit local et corporatif s’éteindra, il ne se fera plus rien de nouveau, et ce qui est ancien peut être ébranlé. J’ai beaucoup insisté là-dessus, j’y insiste encore ; c’est le vif de la question. Tant qu’elle ne sera pas vidée, l’activité du pays sera mêlée d’un certain trouble et languira dans des équivoques.

À l’appui des réformes qui se méditent, on a souvent invoqué l’exemple des pays étrangers ; il est bon d’éclairer cette partie du sujet. Comme d’ordinaire, on a forcé les preuves et tiré de quelques faits avérés des conclusions excessives. En réalité, on n’est pas plus avancé ailleurs que parmi nous sur l’économie de l’enseignement professionnel, sur ce qu’il comporte et ce qu’il doit être. Des jurés français, à leur retour de Londres, ont beaucoup insisté sur les nombreuses écoles de dessin que l’Angleterre a improvisées et sur les quatre-vingt douze mille élèves qu’elles forment. L’avis était bon, l’alarme a été trop vive. Il importe moins d’avoir des légions de médiocres dessinateurs que d’en avoir une élite. Sur ce point, nous ne sommes pas aussi déchus qu’on a pu le croire ; il suffit, pour s’en convaincre, de rapprocher nos tissus de luxe et nos objets d’art de ceux dont l’industrie anglaise nous a envoyé des échantillons. Partout la comparaison pourrait être soutenue. Un témoignage du rang que nous occupons, c’est que souvent on nous copie : notre Conservatoire, notre École centrale ont eu des imitateurs. En Autriche, l’enseignement est plutôt polytechnique ; il y a pourtant des écoles intermédiaires, et à Brunn, en Moravie, une école de tissage, fondée par la chambré de commerce. Le Wurtemberg est sur la voie d’un enseignement plus directement industriel ; une commission royale dirige dans ce sens le mouvement des esprits. L’Italie compte plusieurs établissemens techniques, et entre autres l’école des arts et métiers de Naples, organisée à l’instar des nôtres. Les instituts polytechniques de Madrid et de Lisbonne ont l’un et l’autre des ateliers à leur disposition, et y préparent un certain nombre d’élèves. En Russie, l’institut technologique de Saint-Pétersbourg et l’école des mines de Moscou ont aussi le travail manuel dans leurs attributs, et l’école royale de Stockholm a adopté