Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/436

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

despotisme. Les beys crétois, encouragés par l’impunité, devenaient de plus en plus indisciplinés et insolens ; leurs exactions, leurs cruautés, les avanies qu’ils prodiguaient aux chrétiens dépeuplaient peu à peu le pays, et la Porte voyait avec inquiétude approcher le jour où, de cette île si riche autrefois et si féconde, elle ne tirerait pour ainsi dire plus aucun revenu. Quatre pachas, nommés par le sultan, venaient d’être déposés l’un après l’autre par les janissaires candiotes et renvoyés à Stamboul. Le divan se décida en 1813 à envoyer à Candie, avec le titre de gouverneur-général, Hadji-Osman-Pacha, qui s’était fait connaître, dans les postes qu’il avait remplis, par l’énergie de son caractère, par une fermeté qu’il poussait au besoin jusqu’à la cruauté. Habitué à se faire obéir, Hadji-Osman eut bien vite jugé la situation et pris son parti. Il savait qu’aux grands maux il faut les grands remèdes, et il n’était pas homme à hésiter sur le choix des moyens. La principale difficulté, c’est qu’il n’avait pas de troupes à sa disposition : ces beys et ces agas turcs, ceux-là mêmes qu’il voulait abattre et châtier, formaient la seule milice de l’île ; quant à faire venir du dehors des Albanais ou d’autres soldats, il n’y fallait pas songer. Avertis par là même des secrètes pensées du pacha et de ses projets, les Turcs n’auraient point laissé débarquer ces nouveau-venus ; les batteries des ports, les canons des murailles, les clés des portes étaient en leur pouvoir, et la vie du pacha entre leurs mains. Il fallait donc chercher plus près de soi, dans l’île même et jusque dans le cœur de ces villes fortifiées dont les janissaires se croyaient les maîtres, une force que l’on pût armer sans donner l’éveil et le jour du combat amener en un instant sur le terrain ; il fallait se tourner vers les chrétiens et se servir d’eux. Hadji-Osman ne recula point devant cette nécessité ; il s’entendit secrètement avec les primats grecs ; par leur entremise, il fit distribuer des armes aux raïas, et les avertit de se tenir prêts, Ceux-ci, qui avaient bien des comptes à régler avec leurs oppresseurs, acceptèrent aisément l’alliance et la vengeance qui s’offraient à eux. Pendant qu’ils se préparaient et s’armaient en silence, leur visage, habitué par la servitude à la dissimulation, sut rester humble et calme ; il ne trahit rien des confidences qu’ils avaient reçues, ni de leurs espérances cachées.

Pour l’exécution de son projet, le pacha avait choisi Khania, où les musulmans étaient moins nombreux et moins forts qu’à Mégalo-Kastro. À Mégalo-Kastro d’ailleurs et à Retymo, il avait mis des hommes à lui, sur qui il pouvait compter. Quand donc il eut terminé tous ses préparatifs et donné le mot d’ordre à ses affidés, Hadji-Osman attira, sous divers prétextes, à Khania, où il avait établi sa résidence, les plus remuans et les plus redoutables des beys crétois. À mesure qu’ils se présentent, il les accueille le plus gracieusement