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sfakiote où l’on a déjà signalé plusieurs particularités qui le distinguent des autres formes du grec moderne, et qui, par une filiation directe, le rattachent à l’ancien dialecte dorique de la Crète, tandis que la langue usitée dans le reste de l’île ne diffère que par quelques expressions locales de celle qui est parlée dans l’Archipel et sur le continent de la Grèce.

Les Grecs crétois, à tout prendre, tiennent beaucoup de leurs frères de la Roumélie et des autres îles ; ils sont aussi rusés, aussi retors, aussi menteurs dès que le mensonge leur paraît utile, aussi intéressés, pour ne pas dire avides. Avec tout cela, ils ont dans le langage et les manières quelque chose de plus digne, de plus franc, de plus noble que les autres Grecs soumis au sultan. Dans leur attitude à l’égard des Turcs, leurs maîtres, il n’y a rien de cette crainte instinctive qui perce presque toujours dans les paroles, dans les gestes, dans toute la physionomie du raïa lorsqu’il approche d’un musulman. On sent, à les voir et à les entendre, que ce sont des hommes qui savent se battre et qui l’ont montré, qui ont confiance en eux-mêmes, et qui se font craindre plutôt qu’ils n’ont peur. Les Grecs de la Crète sentent de plus en plus qu’ils sont en mesure d’exiger des privilèges, des ménagemens tout particuliers, et que l’on compte avec eux. Depuis plus de vingt ans, non-seulement ils sont autorisés à avoir des cloches, comme le sont maintenant tous les raïas de l’empire, mais ils en ont partout, qu’ils sonnent à toutes volées. Les medjilis, ces conseils mixtes dont nous avons essayé d’expliquer ailleurs la composition et le rôle[1], ne sont, dans beaucoup de provinces de la Turquie, qu’une sorte de fiction constitutionnelle ; mais en Crète ils rendent de véritables services, et les chrétiens prennent très au sérieux le droit qui leur a été conféré d’y être représentés par leurs primats. Ailleurs les raïas introduits dans le conseil tremblent devant leurs collègues turcs, se font le plus petits qu’ils peuvent, et se bornent à opiner du bonnet ; ils se garderaient bien d’être d’un autre avis que le fonctionnaire turc qui les préside. Ici il n’en est pas de même, et les séances sont souvent orageuses. Comme me le disait un Grec, ici l’on par le au Turc le fez sur le coin de l’oreille.

C’est en effet une chose remarquable que la franchise et la liberté des Grecs crétois dans leurs conversations avec les Turcs ; ils s’entretiennent volontiers, devant les Turcs et même avec eux, des événemens de la guerre de l’indépendance, et, au lieu de chercher à faire oublier leurs révoltes, ils semblent se proposer de les rappeler sans cesse au souvenir de leurs maîtres. Pendant que nous étions à Kissamo-Kasteli,

  1. Voyez la Revue du 15 janvier 1863.