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Bruxelles et l’armée hollandaise : je demande seulement, comme une faveur, que Chartres et Nemours soient à l’avant-garde, et ne perdent pas la chance d’un seul coup de fusil. »

Un tel langage était bien celui qui répondait à l’énergie de Casimir Perier et au sentiment profond de la situation que chacun de nous avait apporté au conseil.

Il est décidé, séance tenante, qu’une armée de cinquante mille hommes sera envoyée au secours de la Belgique.

Les ordres sont immédiatement transmis par le maréchal Soult au général Gérard, nommé général en chef.

A deux heures, M. Le Hon est reçu pour la première fois par le roi en sa qualité de ministre plénipotentiaire et envoyé extraordinaire de sa majesté Léopold Ier, roi des Belges.

A quatre heures, le Moniteur, dans un supplément extraordinaire, annonce à l’Europe et à la France les résolutions instantanées du gouvernement français.

A onze heures et demie du soir, les deux fils du roi partent pour l’armée, où le duc d’Orléans et son jeune frère le duc de Nemours, âgé de dix-sept ans, seront placés à l’avant-garde.

Le 5, l’état de la composition de l’armée est arrêté et inséré au Moniteur du 7.

Le 8, les troupes, mises en mouvement depuis quatre jours, sont massées sur la frontière.

Le 9, à cinq heures du matin, l’armée entière se met en marche, et le duc d’Orléans franchit la frontière à la tête du 5e de dragons, dont il avait pris le commandement provisoire pour entrer le premier en Belgique. Peu de temps après, le prince et ses soldats, s’arrêtant sur une hauteur d’où l’on découvrait le champ de bataille de Jemmapes, acclamèrent un souvenir glorieux pour la France et pour le roi des Français.

Et Gérard, s’il vivait, il nous dirait avec quelle exultation de cœur, avec quel mélange de douleur et de joie il traversait ces places, naguère ennemies, et s’avançait vers ces plaines si glorieusement funéraires où son coup d’œil militaire et ses conseils énergiques eussent sauvé l’armée en 1815, s’il n’avait eu affaire à un serviteur de la consigne bien plus qu’à un général d’armée, vers ces champs de bataille où il tomba lui-même sous une balle ennemie, comme atteint du même coup qui frappait la patrie !

Le 11, le duc d’Orléans et le duc de Nemours, ayant pris les devans à marches forcées, faisaient leur entrée à Bruxelles au milieu des acclamations enthousiastes de la population tout entière.

Dès ce moment, la Belgique était sauvée.

Les traités de 1815, ébranlés par la révolution belge, avaient reçu leur première défaite. Encore un dernier effort, et l’épée de la France achevait d’en déchirer l’une des plus douloureuses pages.