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d’hébreu au Collège de France. Chose curieuse, il y a deux mois, quand à propos de la pétition de M. Merlin une grande discussion s’engagea dans le sénat, discussion dont la situation de M. Renan était l’objet principal, les choses avaient pris une tournure qui ne donnait point à prévoir le dénoûment auquel nous venons d’assister. L’intervention de l’état pour la répression des doctrines contraires au dogme catholique avait été chaleureusement invoquée par un nouveau cardinal, M. de Bonnechose. M. Delangle avait opposé, dans l’intérêt politique de la liberté de penser, une vigoureuse réponse aux prétentions du cardinal. Le sénat, qui n’est point suspect de hardiesse philosophique, avait applaudi M. Delangle et lui avait donné raison. A peu près à la même époque, des personnes bien informées racontaient que M. Renan était menacé dans sa chaire par de hautes et actives influences, mais que, pour défendre en sa personne la liberté du haut enseignement, M. Duruy, avec une abnégation qui lui faisait honneur, avait avancé comme enjeu sa propre démission de ministre. La bourrasque était donc passée. Comment est-elle revenue en l’absence et dans le silence des chambres ? C’est ce que nous ignorons. Il est maintenant établi en fait qu’un professeur du Collège de France peut être purement et simplement destitué, sans qu’on veuille bien donner les motifs d’une si grave mesure, qui atteint en lui la sécurité de l’un des premiers corps enseignans du pays. Tout est contradictoire dans la révocation qui frappe M. Renan. Le Collège de France est l’établissement qui par excellence a en tout temps représenté chez nous l’enseignement libre. Depuis le commencement de ce siècle, deux professeurs de ce collège ont seuls été atteints de destitution définitive, mais pour des motifs avoués par l’autorité qui les révoquait et puisés dans un intérêt d’ordre public. En 1852, M. Fortoul changea la situation des membres du Collège de France et les plaça au point de vue de la révocation dans la condition des membres du corps enseignant. Ils pouvaient donc depuis 1852 être destitués comme des professeurs de l’Université ; mais voici que l’année dernière M. Duruy, avec une sollicitude louable, voulant affermir la carrière universitaire, établit en faveur des professeurs des garanties contre l’arbitraire ministériel. Les professeurs ne peuvent plus être révoqués qu’après une sorte de jugement, c’est-à-dire après un débat contradictoire soutenu devant un comité du conseil de l’instruction publique. Si le décret de 1852 a fait rentrer les professeurs du Collège de France dans le droit commun universitaire, ils doivent être protégés par les mêmes garanties ; ils ne peuvent pas être privés de leur carrière sans le jugement préalable de leurs pairs. La révocation de M. Renan, arrêtée en contradiction des principes posés, il y a un an, par M. le ministre de l’instruction publique, crée aux professeurs du Collège de France une situation exceptionnelle. On les a fait entrer sous la loi commune au personnel enseignant, lorsqu’en 1852 on leur a enlevé leurs antiques franchises, et aujourd’hui on les exclut des garanties données naguère au corps enseignant. La sécurité d’un professeur du Collège