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quelque chose de discrètement et de gracieusement mondain sur un fonds de probité et de régularité. Consalvi fut l’ami de bien des figures élégante qui ont traversé le commencement de ce siècle. Napoléon le redouta et le persécuta, mais il séduisit le prince-régent : il fut lié avec la célèbre duchesse de Devonshire ; Metternich lui écrivait avec ce mélange de feu et de pédantisme qui lui était particulier ; Gentz le félicitait ; M. de Talleyrand lui adressait, après l’empire, quelques-uns de ces madrigaux en prose qu’il tournait si bien ; Louis-Philippe lui envoyait un charmant billet avec des collections de fleurs ; il fut chéri par son bien-aimé Cimarosa. Il fut ce qu’on appelait sous Louis XIV un honnête homme, ce que nous appellerions, après l’invasion de la barbarie contemporaine et à la barbe de Fourier, un civilisé. Deux épisodes des mémoires de Consalvi éclairent d’un jour curieux l’histoire de Napoléon : c’est la négociation du concordat et la résistance opposée à la volonté impériale par une poignée de cardinaux à l’époque du mariage de Marie-Louise. La négociation du concordat est une vivante peinture de la politique de Napoléon ; le cardinal y raconte une singulière supercherie du premier consul, qui fera dresser les cheveux sur la tête de tout diplomate correct, si nos archives ne fournissent point une réplique victorieuse à ce récit. La lutte des cardinaux qui ne voulurent pas assister au mariage religieux de Marie-Louise est une piquante scène de mœurs. Ces treize neri, car Napoléon leur défendit de porter le rouge et les condamna au noir, tremblant devant la colère impériale, mais obéissant sans broncher aux scrupules de leur conscience, font une figure moitié comique, moitié imposante, sur ce grand tableau des splendeurs napoléoniennes où regorge la foule des courtisans chamarrés. Après ces luttes terribles où la papauté et le sacré-collége subirent de si rudes épreuves, il y a quelque chose de touchant à voir la douceur toute naturelle et la courtoisie sans affectation avec lesquelles le pape Pie Vil et le cardinal Consalvi, rentrés à Rome, y donnent l’hospitalité à la famille Bonaparte, à son tour précipitée par les événemens. Ce ferme et gracieux cardinal Consalvi eût ouvert des oreilles bien étonnées, s’il eût entendu M. de Cavour lui proposer l’église libre dans l’état libre. Cette formule n’eût été pour lui que du malséant patois piémontais. Cet homme aimable ne se doutait cependant point, en écrivant ses mémoires, qu’il laissait des pages précieuses que l’Italie aura le droit d’invoquer contre le gouvernement des papes. Consalvi a lutté avec énergie contre les abus du pouvoir temporel ; mais il explique lui-même, dans une page fine et charmante, qu’il est impossible à Rome de corriger les abus. Après de tels aveux, il faudra bien convenir un jour que, pour réformer les abus, il n’y en a qu’un seul à faire disparaître, et que celui-là est justement le pouvoir temporel.

Si donc la littérature italienne peut compter comme une bonne fortune la publication des mémoires de Consalvi, nous croyons que la politique italienne y peut trouver aussi du profit. On parle peu depuis quelque temps de la politique italienne ; c’est bon signe. Le gouvernement et le peuple