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toire. Il n’a donné depuis quelques mois qu’un acte, le Docteur Magnus, dont la musique vulgaire est de M. Boulanger. Le charmant ballet de Giselle a été repris pour les débuts de Mlle Mouravief, que le public parisien accueille toujours avec faveur. Une cantatrice qui porte un nom français, Mme Pascal, qui n’a pas encore une bien grande célébrité, a débuté dans Guillaume Tell par le rôle de Mathilde. La voix de Mme Pascal est un soprano d’une étendue suffisante, car elle peut monter sans effort jusqu’à l’ut supérieur et au-delà. Elle a chanté avec goût, avec un sentiment vrai, la belle romance sombres forêts; elle a été plus heureuse encore dans le duo avec Arnold, où sa belle voix timbrée et flexible a produit sur le public un effet décisif. Si Mme Pascal reste quelques années à l’Opéra, il y a lieu d’espérer qu’elle développera les qualités qu’elle possède, et dont la plus saillante est l’instinct dramatique.

On a repris à l’Opéra-Comique l’Éclair de M. Halévy. Cet ouvrage, en trois actes, a été représenté le 16 décembre 1835, et la Juive le 25 février de la même année. L’Éclair eut alors un beau succès, qui se prolongea assez tard. La pièce de MM. Planard et Saint-Georges est intéressante, et la musique, vive, colorée et parfois charmante, est l’œuvre d’un maître qui avait plus de main que d’invention. « Toutes les fois que nous avons à nous occuper d’une œuvre nouvelle de M. Halévy, disais-je dans la Revue du 1er avril 1858 à propos de la Magicienne, nous éprouvons un certain embarras. Musicien d’un vrai mérite, esprit distingué, caractère aimable, M. Halévy occupe dans l’école française un rang élevé que personne ne lui conteste. Il a obtenu de grands succès sur les deux théâtres lyriques. Il n’y a pas un opéra de ce maître, quelle qu’ait été sa fortune auprès du public, qui ne renferme des pages remarquables, des morceaux d’un style élevé dont on se souvient encore; Guida et Ginevra Charles VI, la Reine de Chypre, et plusieurs opéras-comiques, qui ont été représentés avec plus ou moins de succès, n’ont pas affaibli la considération qui s’attache à l’auteur de la Juive, de l’Éclair, du Val d’Andorre, parce que dans chacun de ses ouvrages il a donné la mesure d’un talent supérieur, qui manque, il est vrai, de variété et surtout de prudence. C’est toujours pour nous un grand étonnement que de voir un artiste aussi éclairé que M. Halévy s’embarquer sur la première chaloupe venue pour traverser un fleuve redoutable. A quoi servent donc l’esprit cultivé, la finesse du goût et beaucoup d’expérience, puisque M. Halévy se trompe si souvent sur le mérite des poèmes auxquels il confie sa destinée? Meyerbeer, qui est un grand nécromant, y regarde de plus près, et alors même qu’il accepte un libretto comme celui de l’Étoile du Nord, c’est qu’il y a vu deux ou trois situations propres à évoquer son génie méditatif. S’il existe des compositeurs qui peuvent dire comme Rameau : Je mettrais en musique jusqu’à la gazette de Hollande, il y en a d’autres, en plus grand nombre, qui n’ont de véritable inspiration que lorsqu’ils sont soutenus par de bonnes situations dramatiques. Tel est M. Halévy, qui a fait un chef-d’œuvre du premier et bon poème qu’on lui ait