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artiste, qui paraissait un peu ému de cet hommage qu’il mérite si bien. Dans la scène finale de la Lucia, Fraschini a été si vrai et si touchant qu’il me semblait entendre les accens du merveilleux Rubini.

Mlle Adelina Patti a quitté Paris bien avant la fermeture du théâtre; elle est à Londres maintenant et nous reviendra l’année prochaine. Cette brillante enfant, qui doit plus à la nature qu’à l’art, n’en est pas moins l’idole de tous ceux qui l’entendent. Cependant il y a des rôles, il y a des opéras où Mlle Patti n’est plus la même : elle joue, elle chante le rôle de Rosine comme une petite espiègle qui se permet beaucoup de licences. Il faut la voir surtout dans la scène avec Bartolo, Lorsque le docteur va à son bureau pour s’assurer s’il ne manque aucune feuille de papier à lettre, la sémillante cantatrice le suit en lui faisant des grimaces d’écolière qui sont d’un goût détestable. A la leçon de chant, Mlle Patti introduit des chansons espagnoles qu’elle chante avec un brio étonnant; mais ce que Mlle Patti ne doit jamais faire, c’est de toucher à la musique de Mozart. Dans le programme de la belle représentation qui a été donnée au bénéfice de la célèbre virtuose, il y avait deux scènes de Don Juan; on ne peut s’imaginer de quelle manière elle a dit la phrase du duetto : Là ci darem la mano. — A côté de M. Delle-Sedie, Mlle Patti paraissait une écolière; elle n’a pas mieux compris l’air adorable de

Batti, batti,
O bel Mazetto,


où elle a été plus coquette qu’attendrie. A propos de M. Delle-Sedie, on nous fait craindre que ce chanteur d’un goût si parfait ne soit point engagé pour l’année prochaine. Si M. le directeur commet cette faute, qui serait presque une injustice, il peut s’attendre que le public lui manifestera son mécontentement. M. Delle-Sedie est un artiste des plus utiles, et, dans tous les rôles qu’on lui confie, il est à la fois comédien intelligent et chanteur exquis. Parmi les bonnes acquisitions qu’on doit à M. Bagier, il faut citer M. Scalese, bouffe d’un vrai talent, dont nous avons déjà mentionné le nom. Sans être d’une première jeunesse, M. Scalese a encore une voix qui ne manque pas de rondeur. Il est un excellent comédien de la vieille école, et s’est fait applaudir dans le rôle de Bartolo et dans celui de Don Pasquale, où Mlle Patti a été charmante. Le rôle du docteur convient admirablement à la voix flexible, au goût et à l’intelligence de M. Delle-Sedie. N’oublions pas que nous avons possédé pendant quelques mois les sœurs Marchisio. Elles ont débuté, comme on le pense bien, dans la Semiramide. Le rôle de la reine de Babylone convient bien à la belle voix de soprano que possède la Carlotta, et dans le duo célèbre entre Semiramide et Arsace elles ont produit cet effet d’ensemble qu’on ne saurait trop admirer. Carlotta a été aussi très heureuse dans le rôle de Gilda du Rigoletto, qu’elle a joué avec une énergie qu’on ne lui connaissait pas.

L’Opéra vit, comme beaucoup d’autres théâtres, de son ancien réper-