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Aurore de Kœnigsmark mettait au monde un fils qui fut baptisé dans l’église du petit village de Goslar, le 28 octobre 1696, sous le simple nom de Maurice, mais qui devait s’appeler un jour Maurice de Saxe, maréchal de France.

Au XVIIIe siècle et de nos jours, on a raconté souvent la vie du maréchal de Saxe. L’Académie française, en 1759, mettait son éloge au concours, ce dont Voltaire s’amusait un peu, et Thomas, qui remporta le prix, inaugurait par cette biographie d’apparat la série de ses panégyriques. Des travaux, je ne dirai pas toujours plus exacts, mais plus voisins pourtant de la réalité, succédèrent à cette première image, soit que, pour mieux connaître Maurice de Saxe, on interrogeât directement les pages signées de son nom, soit que des hommes du métier, essayant de lui marquer sa place dans l’histoire militaire, soumissent à un examen attentif les plans et les opérations qui ont immortalisé sa mémoire. On avait oublié cependant de consulter les documens saxons, comme si les papiers de Frédéric-Auguste ne devaient pas compléter ou rectifier sur bien des points les ébauches, nécessairement si défectueuses, des biographes contemporains. Un savant homme, M. Charles de Weber, directeur des archives de Dresde, vient de combler cette lacune. Occupé depuis plusieurs années à extraire du dépôt confié à sa garde toutes les pièces qui peuvent intéresser l’histoire des derniers siècles, M. de Weber a rencontré sous sa main des lettres fort curieuses qui permettent de fixer définitivement certains points indécis dans l’histoire du comte de Saxe[1]. Ce sont ces découvertes qu’il nous a paru intéressant de communiquer à nos lecteurs. C’est le cadre de cette vie, si l’on peut ainsi parler, ce sont les dates, les circonstances, les influences matérielles ou morales, ce sont aussi certains épisodes moins connus chez nous que les guerres et les amours de Maurice, en un mot c’est l’ensemble de cette destinée singulière que nous voudrions retracer d’après les documens des archives de Saxe. Henri Heine a dit à la première page de l’un de ses poèmes: « Dans les galeries de tableaux du temps de la Pompadour, on voit souvent l’image d’un chevalier qui se dispose à partir pour le combat, armé de pied en cap, la lance à la main, le bouclier au bras; mais de petits amours lutins le provoquent, lui dérobent son bouclier et sa lance, et l’enlacent avec des chaînes de fleurs malgré sa résistance et ses murmures. » Tel n’est pas le maréchal de Saxe, quoiqu’il appartienne bien au temps de la Pompadour; ces amours énervans qui désarment le guerrier prêt à marcher au combat ne l’ont jamais

  1. Moritz, Graf von Sachsen, Marschall von Frankreich. Nach archivalischen Quellen, von Dr Karl von Weber. 1 vol. Leipzig, 1863.