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parfaitement bien un jour le rang que sa haute naissance lui a donné. Sa majesté n’aura pas mal placé ses bienfaits, et vous aurez la bonté, monsieur, de nous en procurer la continuation. Selon la gazette, sa majesté a érigé un nouvel ordre de chevalerie. Ce serait une marque de son souvenir si le jeune comte en pouvait être honoré. Un seigneur comme lui ne devrait jamais être sans tel caractère. »

À ces renseignemens fournis par des lettres éparses viennent s’ajouter naturellement ici les mémoires où Maurice de Saxe raconte les premières années de sa vie, mémoires qui ne devaient jamais être publiés, et qui, après certaines aventures singulières dont le détail serait trop long, sont venus s’enfouir dans les archives de Dresde, où M. de Weber les a trouvés. « On dit que la fainéantise est la mère de tous les vices, et je ne me serais assurément jamais avisé d’écrire le journal de ma vie, si l’oisiveté ne m’en avait donné la démangeaison. Je me propose pourtant une apparence raisonnable (et il faut que je la dise pour faire amende honorable au lecteur), qui est qu’en pensant au passé on s’instruit pour l’avenir... » Ainsi débute Maurice de Saxe, qui écrivait sans doute ces pages dans les premiers temps de son séjour à Paris, avant sa vive campagne en Courlande, quand l’oisiveté lui pesait si lourdement sans toutefois le décourager pour l’avenir. Le journal, à vrai dire, ne s’ouvre qu’en 1709, au moment où le fils d’Aurore de Kœnigsmark va entrer au régiment et gagner ses éperons. C’est alors seulement que le narrateur rapporte ses propres aventures ou bien ses impressions, ce qu’il a fait et ce qu’il a vu. Je trouve pourtant dans les premières pages, et antérieurement à ses débuts de conscrit, quelques traits intéressans pour l’histoire. Maurice, tout jeune encore, mais déjà l’esprit curieux, attentif, surtout quand il s’agissait de la guerre et de ce terrible Charles XII, avait dû entendre raconter plus d’un fait mémorable par des témoins dignes de foi; il représente pour nous la tradition puisée à sa source même. Or une des anecdotes les plus étranges de la vie de Charles XII, c’est à coup sûr la visite qu’il eut la fantaisie de faire au roi Auguste, cette visite cavalière, téméraire, d’une témérité presque insolente, à un roi qu’il avait détrôné si lestement et si cruellement mortifié. On sait avec quelle précision charmante Voltaire a raconté la scène, on sait aussi qu’ayant été contredit du ton le plus tranchant par M. de La Motraye sur un grand nombre des singularités que renferme son tableau, il avait fini par se demander si tous les documens dont il s’était servi méritaient bien sa confiance. C’est le scrupule qu’il exprime au maréchal de Schulenbourg dans une lettre datée du 15 septembre 170 : « Moi qui doute de tout, et surtout des anecdotes, je com-