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mençais à me condamner moi-même sur beaucoup de faits que j’avais avancés. » Heureusement le journal d’un officier suédois, M. Adlerfeld, était venu le rassurer; il y avait trouvé la confirmation des points les plus curieux de son récit. « La visite extraordinaire que Charles XIIe rendit à Auguste, à Dresde, en quittant ses états, n’y est pas omise. » Je trouve le même témoignage dans les mémoires du comte de Saxe, et la chose vaut la peine d’être consignée en passant. Voltaire, qui s’est trompé si souvent dans l’histoire générale de l’humanité, Voltaire, qui ne pouvait comprendre le passé, puisque la mission de son génie était d’en détruire à jamais les abus, Voltaire est admirable d’intelligence, d’impartialité, d’exactitude, quand il raconte l’histoire de son temps ou de la génération qui le précède. Les grandes recherches accomplies de nos jours dans les archives de France ont confirmé tous les récits politiques du Siècle de Louis XIV; les révélations des archives du nord ont prouvé de même que cette Histoire de Charles XII, si vive, si fantasque en apparence, avait été composée par lui d’après les renseignemens les plus sûrs. Maurice de Saxe, en confirmant le récit de Voltaire, y ajoute quelques traits. D’abord il donne la date, ce qui n’est pas indifférent; l’historien français n’avait pu se la procurer sans doute, puisqu’il n’en parle pas. C’est le 5 septembre 1706 que Charles XII, se disposant à quitter la Saxe, qu’il occupait en maître, et passant à quelque distance de la capitale, s’élança tout à coup au galop loin de son état-major, accompagné seulement d’un officier, se dirigea vers Dresde, franchit la porte, gagna le palais, se présenta enfin au roi Auguste avant que personne ni dans l’armée suédoise, ni dans la ville, pût se douter seulement de cette escapade. Informé de l’aventure, le général comte de Flemming accourt au palais. C’était, comme on sait, le favori, le factotum du roi Auguste; Voltaire l’appelle spirituellement un ministre absolu. Quand il ouvrit la porte de la chambre où se trouvaient les deux souverains, Charles XII, placé en face du roi Frédéric-Auguste, tournait le dos au général. Flemming fait signe à son maître de ne pas laisser échapper une telle occasion et de se saisir du roi de Suède; mais Frédéric-Auguste, d’un mouvement de tête, rejette bien loin ce conseil. Charles XII, n’avait pas entendu la porte s’ouvrir; averti par le mouvement du roi, il se retourne brusquement et aperçoit Flemming, à qui Frédéric-Auguste, pour écarter tout soupçon, ordonne aussitôt de faire seller son cheval, car il veut, dit-il, accompagner son hôte jusqu’au milieu des siens. « A quoi pensez-vous? » disait le lendemain Charles XIIe à son ministre, le comte Piper, qui semblait méditer profondément. « Je pense, répondit le ministre, que messieurs les Saxons doivent être terriblement aux