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voir central tire son existence et sa force de l’assentiment des citoyens, le président eût pu conquérir soudain la toute-puissance nécessaire pour asservir complètement le peuple et le lancer dans l’une des guerres les plus sanglantes des temps modernes; mais il serait encore plus étonnant que les associations libres formées pour encourager le gouvernement, pour l’aider dans sa tâche et fortifier ses armées, eussent pris leur origine au milieu d’une nation d’esclaves. Loin d’être réprouvée par la masse du peuple, la guerre entreprise pour le rétablissement de l’Union est au contraire tellement nationale que les femmes, patriotes non moins zélées que les hommes, prennent indirectement part à la lutte en s’occupant de la santé des troupes. Ce sont elles qui pleurent le plus tristement les morts et qui souffrent le plus de tous les fléaux amenés par la guerre; mais si elles ne peuvent s’étourdir, comme les hommes, par l’excitation du combat, du moins peuvent-elles se consoler et s’affermir dans leur foi patriotique par le travail et le dévouement. Leur mission, toute de charité, n’éveille pas, comme l’histoire des batailles, l’attention du monde entier: elles n’ont pas songé, comme les soldats, à se couvrir de gloire; mais elles n’en ont pas moins accompli leur œuvre d’une manière admirable, ainsi que le prouvent les résultats immenses obtenus par cette commission sanitaire qu’elles ont fondée et qu’elles soutiennent de leurs présens. Qu’on ne s’y trompe pas : une des principales forces des États-Unis, c’est le patriotisme des femmes. L’opinion publique des Américains n’est pas, comme celle des Français, l’opinion d’un sexe seulement.

Ce même esprit d’initiative individuelle qui, en se manifestant sur tous les points du territoire à la fois, a pu consolider si fortement près d’un million de volontaires sous la main du gouvernement, aura tôt ou tard à remplir une mission tout opposée, celle de faire licencier les troupes et d’éviter ainsi à la république le fléau des armées permanentes. Ce fléau est à juste titre le plus redouté de tous ceux qui menacent la prospérité future de l’Amérique, et c’est précisément afin de le rendre impossible que les ardens patriotes poussent avec tant d’acharnement à la continuation de la guerre et à la conquête de tous les états séparés. En effet, les armées ne peuvent être licenciées avant que les populations de l’ancienne république aient reconnu les mêmes lois et que la société tout entière soit réorganisée sur la base du travail libre : deux nations, l’une démocratique, l’autre régie par une aristocratie patriarcale, ne sauraient se partager en paix une contrée qui est évidemment destinée par la nature à devenir la patrie d’un seul peuple, et la limite, s’il était possible d’en tracer une, se hérisserait immédiatement de forteresses et de redoutes, se peuplerait de douaniers, de soldats et de