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sion jusqu’au désert de notre domination. Le gouvernement, loin de s’effrayer de cette controverse, s’y mêlait résolument. Ce labeur de tous les jours était rude pour les ministres, mais il n’était pas sans gloire; ils gagnaient ainsi à leurs convictions le sentiment public, rendaient l’œuvre populaire et bientôt tout à fait nationale. Ainsi l’une des plus belles pages du gouvernement de 1830 nous enseigne quel puissant concours les expéditions lointaines peuvent trouver dans la publicité et la libre discussion. Peut-être en sera-t-on mieux convaincu encore après avoir lu l’étude qui va suivre d’une entreprise tentée dans des conditions bien différentes, l’expédition de Cochinchine.


I.

En 1858, la guerre de Chine, où notre drapeau flottait à côté de celui de la Grande-Bretagne, accomplissait sa première phase. Les forts du Peï-ho tombaient au pouvoir des armées alliées, et le traité de Tien-tsin était signé. La paix avec le Céleste-Empire semblait assurée. On ne prévoyait pas que la mauvaise foi de la cour de Pékin provoquerait la reprise des hostilités quelques mois plus tard, et que nous serions conduits par d’impérieuses exigences jusque dans la capitale du gouvernement qu’il était devenu nécessaire de châtier. C’est entre les deux périodes de la guerre de Chine séparées par la signature du traité de Tien-tsin que le gouvernement français songea aux griefs qu’il avait contre le royaume d’Annam. La cour de Hué avait exercé la plus cruelle persécution non-seulement contre les indigènes qui avaient embrassé la religion chrétienne, mais aussi contre les missionnaires étrangers, sans aucun respect de leur nationalité. Mgr Diaz, évêque du Tonquin, après avoir subi un long emprisonnement, avait expiré le 20 juillet 1857 dans d’odieux supplices, martyr de son saint apostolat. Les missionnaires français et espagnols répandus en Cochinchine avaient adressé à Paris et à Madrid les plaintes les plus vives et réclamé la protection des deux gouvernemens catholiques bien plus pour la religion, dont ils étaient les soldats dévoués, que pour leur vie, qu’ils étaient prêts à sacrifier à l’exemple de leur glorieux évêque. Nous avions essayé à plusieurs reprises quelques démarches auprès du gouvernement d’Annam, nous lui avions demandé des réparations pour le passé et des garanties pour l’avenir; mais il avait refusé d’entrer en négociation avec nous et avait accueilli à coups de canon le navire qui portait le représentant de la France. C’est dans ces circonstances que l’ordre fut donné à l’amiral Rigault de Genouilly, qui commandait notre station navale en Chine, de diriger