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ses vaisseaux contre les Annamites pour les obliger à nous accorder pleine satisfaction. L’Espagne joignit à notre expédition un contingent de troupes tiré de Manille.

Il n’entre pas dans notre plan de raconter ici en détail les opérations militaires qui s’exécutèrent en Cochinchine[1] et se prolongèrent de 1858 à 1863. Il nous suffira de dire que nos soldats, sous la conduite des amiraux Rigault de Genouilly, Page, Charner et Bonard, qui les commandèrent successivement, furent, par leur courage, leur patience et leur fermeté, les dignes émules des vainqueurs de Sébastopol et de Solferino. Ce qu’il nous importe de savoir, ce n’est pas comment la guerre a été faite, mais quelle politique dirigeait nos mouvemens. L’amiral Rigault de Genouilly avait-il des instructions précises? Connaissait-il le but qu’il devait atteindre? Avait-on conçu à Paris la pensée de profiter de l’occasion qu’offrait l’insolente obstination du roi d’Annam pour s’emparer d’une partie de ses états et y fonder un établissement sous la souveraineté de la France? Et si cette résolution était prise, l’avait-on préparée par une étude des lieux, des difficultés et des obstacles que nous pouvions rencontrer? Avait-on mesuré à l’avance la portée des efforts et l’importance des sacrifices qu’exigeait une pareille entreprise?

Les documens que nous avons consultés diffèrent sur la réponse qu’il faudrait donner à ces questions. Les uns établissent qu’à l’origine nos forces navales ne se rendaient sur les côtes de Cochinchine que pour donner, par une démonstration militaire, un appui moral à la cause des missionnaires persécutés et amener le gouvernement d’Annam à quelque convention qui garantît la libre propagande de la religion catholique et les droits de l’humanité. D’autres documens au contraire feraient croire que les ordres donnés à l’amiral Rigault de Genouilly émanaient d’une laborieuse réflexion, et tendaient à réaliser un projet savamment conçu, — Prendre une position dans l’extrême Orient, c’était renouer la chaîne de nos traditions, rester fidèle à une politique nationale que s’étaient transmise à travers les révolutions les différens gouvernemens qui se sont succédé en France.

Quelle était donc cette politique nationale? et de quelles traditions s’agissait-il? On rappelait qu’en 1787 George Pigneau de Behaine, évêque d’Adras, après avoir recueilli, au milieu des guerres civiles, Gia-long, l’héritier légitime du trône d’Annam, était venu solliciter l’appui de la cour de Versailles pour son royal protégé, qu’en qualité de ministre de ce prétendant il avait signé avec M. de Montmorin, ministre des affaires étrangères de Louis XVI, un traité

  1. On trouvera un récit de ces opérations dans la Revue des Deux Mondes du 15 novembre 1862.