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Schulenbourg. L’adversaire de Charles XII, le compagnon du prince Eugène, le libérateur de Venise, c’est-à-dire un des premiers capitaines de son époque, donnant des leçons au futur vainqueur de Fontenoy sur le terrain consacré par la mort de Gustave-Adolphe, assurément ce n’est point là une scène vulgaire. « Soyez irréprochable dans Aos mœurs, et vous dominerez les hommes; » ces paroles avaient leur signification éloquente devant le monument du héros suédois : si le fils d’Aurore de Kœnigsmark s’était toujours souvenu de la scène de Lützen, il n’eût pas disposé de sa vie comme il l’a fait, il eût traversé sans s’amoindrir les heures funestes de l’inaction, et son nom aurait une place meilleure encore dans l’histoire.

Presque tous les biographes de Maurice de Saxe racontent qu’il accompagna ou plutôt qu’il suivit secrètement le roi son père dans un voyage que celui-ci fit en Flandre au mois de juillet 1808. Le 30 juillet, Frédéric-Auguste avait écrit à ses ministres qu’il projetait « un voyage de plaisir pour se désennuyer des chagrins qu’il avait eu à supporter depuis un certain temps. » Il ajoutait dans un billet au comte de Flemming : « Ne permettez pas que qui que ce soit me suive. » Le jeune Maurice avait-il donc enfreint les ordres de son père et dérouté la surveillance de ses gardiens? Une tradition singulière, répétée par tous les historiens, s’était accréditée à ce propos; on disait que l’enfant était parti à pied, qu’il avait suivi le roi de ville en ville sans que personne soupçonnât son escapade, et que, Frédéric-Auguste étant allé trouver le prince Eugène sous les murs de Lille, Maurice avait paru tout à coup, demandant à faire ses premières armes. Il s’était battu en effet, ajoute la tradition, et battu comme un héros. C’était commencer de bonne heure; Maurice n’avait pas encore atteint sa douzième année. Les mémoires que nous venons de traduire ne permettent malheureusement plus de répéter cette légende. La vérité est que le roi de Saxe partit de Pilnitz le 30 juillet 1708, accompagné seulement de deux amis, qu’il traversa les Flandres et alla visiter le duc de Marlborough et le prince Eugène, occupés alors au siège de Lille. N’était-ce donc que pour se désennuyer, comme il le dit? ou bien, méditant une reprise d’hostilités contre Charles XII, voulait-il consulter à ce sujet les deux plus illustres généraux de l’Europe? Là-dessus, point de renseignemens. Quant à Maurice, on a vu par son récit même qu’il débuta seulement l’année suivante dans la carrière des armes, et que la première de ses prouesses fut cette longue marche à pied de Lützen à Hanovre par le terrible hiver de 1709. Les panégyristes de Maurice en France et en Allemagne ont mêlé tant d’anecdotes suspectes au récit de ses aventures qu’il n’est pas inutile de rectifier les faits et les dates, fût-ce même sur des points secondaires. L’exactitude des détails, la critique corrigeant la légende, tel est l’intérêt