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est d’une tout autre portée, puisque, si elle était résolue dans un certain sens, il faudrait renoncer à tous ces rêves d’avenir. En terminant, nous devons faire connaître la transformation soudaine que vient encore de subir notre politique en Cochinchine.

Il faut rappeler d’abord que ce n’est pas avec bonne grâce que le roi d’Annam a signé le traité du 5 juin 1863. Après une première réponse qui ne lui paraissait pas satisfaisante, l’amiral Bonard avait été obligé d’envoyer le Forbin devant Hué signifier au roi Tu-duc que, s’il voulait sérieusement la paix, il devait s’empresser de la demander et de verser une somme de 100,000 ligatures (environ 100,000 francs) comme à-compte sur l’indemnité de guerre ; sinon, les hostilités recommenceraient avec une vigueur sans égale. Cette menace n’aurait pas suffi pour amener à composition le souverain annamite, si, avec la lutte qu’il aurait dû soutenir contre nous au sud de son empire, il n’avait pas eu à comprimer en même temps, au nord, la révolte du Tonquin. Malgré la dissimulation habituelle des mandarins, qui s’efforçaient de cacher leurs véritables sentimens sous les dehors les plus concilians, toutes les personnes qui accompagnaient l’amiral Bonard à la cour de Hué pour l’échange des ratifications revinrent avec l’impression qu’aux yeux des Annamites le traité n’était qu’un acte éphémère bon à leur assurer une trêve, et dont ils se dégageraient à la première occasion. L’insistance avec laquelle Tu-duc manifesta le désir d’envoyer une ambassade auprès de l’empereur des Français ne fît que confirmer ce soupçon, et dès lors on parla de la possibilité pour le gouvernement annamite d’obtenir la restitution des provinces cédées moyennant indemnité[1].

Quelques mois après la signature du traité, une ambassade annamite arrivait à Paris. Elle ne s’y présentait pas avec la pompe orientale ; elle était modeste dans son attitude, et semblait humiliée plutôt qu’enorgueillie de sa mission. Pendant son séjour dans la capitale, ses chefs se montraient obsédés par de graves préoccupations, et regardaient d’un œil impassible nos monumens, nos richesses, notre armée, tout ce qu’on étalait devant eux pour constater la puissance de la France. Silencieux, réservés jusqu’à la froideur, il était visible qu’ils avaient un autre but que celui de venir rendre hommage à l’empereur des Français, et de lui renouveler au nom de leur souverain les engagemens d’amitié et de paix consignés dans le traité de Hué. Ils eurent des entretiens confidentiels avec l’empereur et le ministre des affaires étrangères. Que proposèrent-ils ? quelles assurances reçurent-ils en réponse à leurs ouvertures ? Nous n’avons pas la prétention de le savoir ; mais dès ce

  1. Voyez le rapport de l’amiral Bonard (Revue maritime et coloniale, septembre 1863).