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moment le bruit se répandit dans le public que les ambassadeurs annamites avaient ouvert une négociation pour la rétrocession des trois provinces de la Basse-Cochinchine que nous occupons. Ceux qui répétaient ce bruit n’y croyaient pas, tant il paraissait invraisemblable. Les ambassadeurs annamites partirent, et l’on resta persuadé que s’ils avaient fait la tentative qu’on leur prêtait, c’était pour obéir à un sentiment de nationalité honorable chez des vaincus plutôt qu’avec l’espoir de réussir.

A la fin de l’année 1863 cependant, quelques jours après l’ouverture de la session législative[1], un officier de marine[2], M. Aubaret, capitaine de frégate, partait pour Hué, et des nouvelles arrivées de Saigon lui attribueraient une mission assez délicate. Il aurait porté au roi Tu-duc un nouveau traité rédigé suivant des bases arrêtées à Paris avec les ambassadeurs annamites. Rien ne devrait y être changé; il n’y aurait pour le compléter qu’à y ajouter quelques dispositions accessoires relatives à des limitations de localités. Ce traité stipulerait que les trois provinces de Gia-dinh, de Bien-hoa et de Dinh-tuong seraient restituées au roi Tu-duc, à l’exception de la ville de Saigon, des ports de Thu-daomot et de la citadelle de Mitho. En retour de cette rétrocession, le gouvernement annamite reconnaîtrait le protectorat de la France sur les six provinces de la Basse-Cochinchine, et lui paierait en sus de l’indemnité déjà convenue par le traité de Saigon[3], pendant chacune des trois premières années, un tribut de 3 millions, et de 2 millions pour chacune des années suivantes.

Les bruits qui s’étaient répandus à Saigon relativement à la mission du capitaine Aubaret y avaient causé une émotion profonde. Le mécontentement et l’alarme s’y étaient manifestés d’une manière générale. Les industriels et les négocians établis en Cochinchine, qui ont engagé leurs capitaux dans des constructions, des entreprises de culture ou des opérations de commerce, découragés, menacés dans leur fortune, se faisaient remarquer dans ce concert de plaintes. Admettons que cette nouvelle situation existe, et tâchons de l’examiner avec plus de calme que n’en montrent nos émigrans. La combinaison qui leur cause tant d’inquiétudes aurait, dit-on, le mérite de nous affranchir de l’obligation d’administrer un territoire étendu, de gouverner loin de la France des populations qui

  1. On sait que le discours impérial au sujet de notre nouvelle possession s’exprimait ainsi : « Nous avons conquis en Cochinchine une position qui, sans nous astreindre aux difficultés du gouvernement local, nous permettra d’exploiter les ressources immenses de cette contrée et de la civiliser par le commerce. »
  2. Le même officier avait été chargé d’accompagner les ambassadeurs annamites pendant leur séjour en France.
  3. Le traité de Saigon stipule une indemnité, pour frais de guerre, de 4 millions de dollars payable dans un laps de dix ans (art. 8).