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Et quelques mois plus tard, à la date du lli mars 1710 :


« J’apprendrai avec bien du plaisir que vous soyez bien dans l’esprit du roi; tout le reste se donnera, pourvu que vous songiez à former votre esprit et à régler votre cœur, de manière que l’un soit sans visions ni chimères, et l’autre rempli de vérité et de probité, à quoi il faudra ajouter l’application, sans laquelle on ne saurait bien réussir en tout ce que l’on entreprend... Il faut tant de choses pour réussir dans le monde! et rien n’est plus horrible que d’être ignorant dans sa profession. Entrez donc en vous-même et profitez du temps. A quoi sert-il de s’amuser avec des bagatelles?... Évitez surtout les mauvaises compagnies, qui ne font que gâter tous ceux qui donnent là dedans, et cela pour le reste de leurs jours. Fréquentez les gens d’honneur et ceux qui sont habiles, et contractez des sentimens dignes d’un homme d’honneur. Tout cela doit être fondé sur la vraie crainte de Dieu... »


Nous avons tenu à citer ces paroles du général parce qu’elles n’ont été publiées que de nos jours. Parmi les écrivains qui se sont occupés de Maurice de Saxe, aucun ne les donne, aucun même n’a senti l’intérêt du rôle que remplit Schulenbourg auprès de cet enfant si bien doué, mais si insouciant du travail et des vertus austères. Il y a trente ans qu’un héritier du nom de Schulenbourg, compulsant les archives de sa maison, en a extrait les documens les plus précieux pour l’histoire européenne à la fin du XVIIe et au commencement du XVIIIe siècle[1]. Il convenait d’en détacher ici cette page. L’idée du devoir, l’idée de Dieu apparaîtra trop rarement dans l’histoire du maréchal de Saxe pour qu’on ne saisisse pas l’occasion de la faire briller au début de cette existence marquée par tant de journées glorieuses, mais agitée aussi par tant de passions sans frein.


II.

Les succès du jeune enseigne sous les drapeaux du prince Eugène avaient retenti à la cour de Dresde; le roi, si brave lui-même, reconnut bien sa race. Toutefois, au moment même où il lui préparait le meilleur accueil, il hésitait encore à lui donner un nom et un rang dans le monde. Un nom et un rang, la reconnaissance et l’établissement de l’enfant par le père, voilà ce que la comtesse de Kœnigsmark ne cessait de demander à Frédéric-Auguste. Le roi finit par céder. Le 10 mai 1711, après un voyage à Dresde, la comtesse écrivait à Schulenbourg : «Le roi a enfin reconnu le comte de Saxe par une récognition signée de sa main à tous les collèges de Dresde, et communiquée au conseil privé, au conseil du cabinet

  1. Leben und Denkwurdigkeiten Johann Mathias Reichsgrafen von der Schulenburg. Aus Original-Quellen bearbeitet. 2 vol. Leipzig, 1834.