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velléités raisonneuses; demain, je poursuivrai aux quatre coins de ta maison les bouts de cigarettes et les cassures des échantillons minéralogiques dont Moreau l’encombre. Ce bon Moreau, depuis qu’il vous a vus interroger avec un marteau les flancs de ses rochers, il croit que nous faisons provision de pierres quelconques, et il m’apporte des pavés de granit en me disant : Ce n’est pas celui de ce matin; c’est un autre que j’ai taillé pour vous. Comment le refuser? et que vais-je faire de tous ces pavés? Une barricade? Contre qui? contre les rossignols de Gargilesse ?

Autre antithèse : du plus éloquent des chantres de la nature, je passe au plus muet de ses reptiles. D’où vient que l’année dernière, à pareille époque, nous trouvions sous toutes les pierres ces jolis petits serpens de bronze florentin, ces orvets inoffensifs que les dames romaines enlaçaient à leur cou et à leurs bras pour se procurer une sensation de fraîcheur? J’avais promis à ma fille de lui en rapporter plein un bocal : Moreau et Sylvain ont levé au moins trois kilomètres de rochers sans en apercevoir un seul. Que se passe-t-il dans ce monde-là? Une révolution? une migration? une transportation ?

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Rubens et Mozart, pourquoi n’êtes-vous pas de la couronne d’étoiles tressée par le poète? Le poète n’a-t-il de véritable enthousiasme, de prédilection instinctive que pour les génies qui sont à la limite du ciel et de l’enfer? N’admet-il pas qu’un génie puisse être lumière et rien que lumière, comme Mozart? Et s’il faut, pour les nobles besoins de sa noble thèse, que les surhumains et les contestés soient seuls admis dans son panthéon, Rubens n’a-t-il pas le droit de s’asseoir à côté de Rembrandt? Qui donc a été, qui est encore plus contesté que lui par la petite critique ? Et Mozart aussi, n’a-t-il pas le droit de demander vengeance contre l’école du petit ramage italien moderne qui le repousse encore comme l’introducteur du prétendu nuageux germanique en Italie? — Mozart nuageux ! Mozart le fils du lac et du soleil! — Mozart! j’ai envie d’écrire ton nom cent fois sur les murailles blanches de ma petite chambre. Il me semble que j’entends la lune, le rossignol et le torrent chanter là-bas le trio des masques. C’est pour cela que les chiens de Gargilesse ne se permettent pas d’aboyer.

Vendredi. — Promenade en hauteur, ascension sans métaphore. J’ai été voir ce petit bois que Moreau veut vendre; il m’a invité à prendre connaissance de son domaine. Étendu à plat, ce serait de quoi faire une allée de jardin; mais c’est à pic et manque totalement de sentier. Le taillis est si serré qu’il a fallu monter à la sape. On coupait une branche, on creusait une entaille dans le gazon, on entassait en escalier informe quelques débris de roche, et je faisais