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présence de Dost-Mohammed sur un territoire que la Perse regarde avec assez de raison comme une indispensable annexe de ses frontières consternèrent la cour de Téhéran. Les forces dont elle pouvait disposer depuis le rude échec que les Turcomans lui avaient infligé au mois d’octobre 1860, suffisantes à peine pour protéger les frontières du royaume lui-même, ne permettaient guère d’entreprendre une campagne au dehors, et cependant il était bien difficile de laisser à la merci d’une défaite éminemment probable le propre neveu du shah Nasser-ed-Din, ce même sultan Ahmed qu’une intrigue persane avait fait monter naguère sur le trône désormais compromis. L’appui de l’Angleterre dans de pareilles circonstances pouvait seul détourner le coup; aussi le shah demanda-t-il qu’un des membres de la légation britannique appuyât les démarches du grand-officier qui devait aller porter à l’émir des paroles conciliatrices. Le chargé d’affaires, M. Alison, assigna cette mission délicate à son premier secrétaire, et, au lieu de s’acheminer vers la Grèce, l’aventureux diplomate prit dans la première semaine d’août la route du Khorassan.


III.

Il pourrait sembler de prime abord que, pour ce voyage, entrepris à la requête et dans l’intérêt du monarque persan, l’agent anglais devait trouver toute sorte de facilités et de garanties; mais bien que l’aminu’d-daidah[1], Ferruck-Khan, le même que nous avons vu à Paris, le recommandât par lettre autographe, et comme un ami particulier, au prince-gouverneur du Khorassan, bien que ses secrétaires eussent enjoint en son nom à toutes les autorités des districts que les commissaires pacificateurs devaient traverser de traiter le sahib avec les plus grands égards et de lui fournir les escortes nécessaires, le hardi voyageur dut affronter encore beaucoup de périls. La fièvre l’attendait presque au départ, et aucun arrêté ministériel ne pouvait modérer l’ardeur du soleil, changer l’état des routes, ni même lui procurer d’autres moyens de transport que ceux dont le pays est pourvu. Ferruck-Khan ne pouvait le garantir davantage ni des scorpions et des serpens, que plus d’une fois le sahib trouva cachés au fond de la couche sur laquelle il allait s’étendre, ni des insectes de tout ordre, — entre autres la « punaise venimeuse, » — qui le harcelaient impitoyablement. Il faut se figurer maintenant un malheureux invalide dévoré de soif, tourmenté de souffrances névralgiques, assiégé par les fantômes qu’é-

  1. Titre équivalent à celui de « seigneur ou lord président. » Ne pas le confondre avec celui de sadr-azim ou grand-vizir, c’est à-dire premier ministre. Ferruck-Khan remplissait les fonctions de ministre de l’intérieur.