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chives de Dresde, qu’il poussa des cris de colère contre le comte de Flemming, s’imaginant que l’obstacle venait de son mauvais vouloir. Un savant viennois, M. Alfred Arneth, qui a publié récemment une biographie très complète du prince Eugène avec les documens inédits des archives d’Autriche, nomme tous les officiers étrangers qui vinrent prendre part à cette expédition[1]. Hommes du nord et hommes du midi s’étaient donné rendez-vous à cette espèce de croisade dont le chef venait d’être solennellement béni et armé par le pape. On y voyait le jeune prince Emmanuel, frère du roi de Portugal Jean V, qui, après une querelle déplorable où le roi s’était oublié jusqu’à le frapper au visage, avait quitté à jamais son pays natal, et, admis dans l’intimité du prince Eugène, effaçait en héros la tache imprimée à son honneur. On y voyait tout un groupe de princes et de gentilshommes venus de la cour de France : le comte de Charolais, de la maison de Condé; le prince de Dombes, fils du duc du Maine, et par conséquent petit-fils de Louis XIV; le prince de Pons et le chevalier de Lorraine. Aurait-on pu oublier le fils du roi de Pologne parmi ces hôtes illustres? Les registres de la campagne de 1717, conservés aux archives de Vienne, ne mentionnent pas son nom une seule fois. C’est en vain sans doute que le colonel sans régiment avait demandé à son père l’autorisation d’aller se battre sous les drapeaux du prince Eugène; c’est en vain, nous le savons, qu’il renouvela sa demande l’année suivante. La comtesse de Doenhof ayant transmis au comte de Flemming les plaintes que Maurice ne cessait de proférer contre lui à l’occasion de ce refus, le ministre répondit le 30 mars 1718 : « M. le comte de Saxe se plaint à tort de moi sur ce qu’il ne va pas en Hongrie, puisque je lui ai dit à lui-même que j’en serais fort content, et qu’il n’avait qu’à en parler au roi. Il souhaite d’y aller à la tête d’un régiment; mais en a-t-il un, et puis-je de droit en ôter un à un autre colonel pour le lui donner? Enfin, quand cela se pourrait par droit, cela dépend-il de moi, et ne faut-il pas que le roi, à qui je lui ai dit de s’adresser, me l’ordonne?... Je vous prie, madame, de considérer encore si, tout fils de roi qu’il est, étant soldat et dépendant des articles de guerre, quoiqu’il n’ait pas de régiment, il fait bien de se plaindre légèrement de son supérieur, comme je le suis par l’ordre de sa majesté?... En manquant ainsi au point le plus essentiel, qui est de savoir obéir pour apprendre à commander, quel progrès pourrait-il faire dans le métier qu’il a embrassé, et qu’il veut continuer? »

Que faisait-il donc pendant ces longs mois d’inaction forcée? Une

  1. Prinz Eugen von Savoyen. Nach den handschriftlichen Quellen der Kayserlichen Archive, von Alfred Arneth. 3 vol. Vienne, 1858. Voyez tome II, pages 424-426.