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lettre de la comtesse de Kœnigsmark, tirée aussi des archives de Dresde, jette une triste lumière sur les juvenilia du futur vainqueur de Fontenoy. C’est encore à Flemming, au maréchal de cour, que s’adresse la pauvre mère, et elle lui écrit ces mots : « L’oisiveté du comte de Saxe est un état qui le perdra de réputation et de mœurs; il est impossible qu’il puisse rester sur ce pied sans blesser même la gloire du roi. C’est à sa majesté de prononcer ce qu’elle veut faire de lui, s’il doit partir pour les pays étrangers, ou si elle veut l’employer dans son service... » Elle écrivait au roi vers le même temps, à propos des embarras pécuniaires de son fils : «Ne pouvant vivre que par emprunts, l’indigence l’expose tous les jours à des choses indignes de lui, dont la fin ne peut être que le désespoir. »

Indignité, désespoir, voilà des mots bien tragiques. Et pourquoi craint-elle qu’il ne soit bientôt perdu de réputation? pourquoi cette pensée de lui ouvrir une autre carrière dans les pays étrangers? C’est que nous touchons ici à une crise funeste de sa vie, à une crise aussi mystérieuse que douloureuse : je dis mystérieuse, car ce drame domestique était assez mal connu jusqu’à présent, et les documens nouveaux ne l’ont pas encore dégagé de bien des parties obscures. Que Maurice de Saxe, avec sa nature fougueuse, son impatience de l’inaction et le peu d’attachement qu’il avait montré à sa femme dès le premier jour, ait donné à la comtesse les plus légitimes sujets de plainte, c’est ce qu’on n’a jamais ignoré. Quant à la jeune femme, on semble croire aujourd’hui qu’elle lui infligea la peine du talion, se vengeant du désordre par le désordre, et descendant aussi bas qu’il descendait lui-même. Voilà ce qu’il y a de plus clair dans ces ténébreuses anecdotes, et il faut y ajouter maintenant quelques détails nouveaux.

A la fin de l’année 1718, la comtesse de Saxe, privée de ses revenus par les dissipations du comte, va demander asile à Aurore de Kœnigsmark dans l’abbaye de Quedlinbourg. « Pour Mme la comtesse, écrit au roi la mère de Maurice (février 1719), il y a déjà près de quatre mois qu’elle s’est réfugiée chez moi dans l’abbaye, tous ses revenus étant pour les créanciers. Je lui dois trop d’amitié pour ne pas partager avec elle le peu que j’ai. » La démarche de la jeune femme, la lettre d’Aurore de Kœnigsmark à Frédéric-Auguste, tout semble prouver que la belle-mère et la bru sont parfaitement d’accord. Quelques mois se passent, et tout est changé. La comtesse de Saxe a quitté l’abbaye de Quedlinbourg, elle est revenue dans une de ses terres; c’est de là qu’elle écrit au roi une lettre suppliante où éclatent à la fois et la douleur d’avoir perdu l’affection de son mari et la défiance que lui inspire désormais Mme de Kœnigsmark. Que le père de Maurice lui vienne en aide; elle ne peut plus