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des naufrages. Les rafales d’automne se sont montrées peut-être les plus destructives de toutes celles qui ont jamais désolé les côtes britanniques. Dans les villes d’Yarmouth et de Shields, on compte par centaines les veuves et les orphelins qu’a laissés derrière elle la tempête des premiers jours de décembre. Au milieu de tant de calamités, 4,565 personnes ont échappé aux vagues ouvertes pour les engloutir : 498 d’entre elles ont été secourues par les life-boats, 329 par les appareils de roquettes, rocket-apparatus, et 3,738 soit par le canot même du vaisseau naufragé, soit par les bateaux à vapeur, soit par les bateaux de pêche ou par tout autre moyen de sauvetage. Ce qu’il faut bien remarquer, c’est que les 498 délivrances accomplies par les life-boats constituaient ce qu’on appelle en médecine et en termes de marine des cas désespérés. Selon toutes les conjectures, ces naufragés n’auraient pu être sauvés par aucune autre intervention. Les life-boats forment dans l’armée de délivrance une sorte de corps de réserve ou de bataillon sacré qui donne sur les points les plus menacés de la bataille, et qui encourage par ses exploits l’ardeur des autres combattans.

Une autre considération qui milite puissamment en faveur des canots de sauvetage proprement dits est le petit nombre d’accidens arrivés aux hommes qui les gouvernent. Tout le monde sait cependant combien il est dangereux d’approcher du théâtre d’un naufrage à travers une mer agitée par toutes les fureurs de la tempête. En pareil cas, il n’y a point de bateau assuré contre le péril; il n’existe point d’inventions humaines qui puissent toujours résister à certaines révoltes des élémens. Les life-boats eux-mêmes, il faut le dire, ont fait l’expérience de cette vérité. Où serait d’ailleurs le mérite de l’équipage, si le dévouement des hommes n’était quelquefois soumis à de terribles épreuves? Ce qu’ils ont vu sur ces mers épouvantables, eux seuls pourraient le décrire. Les plus fortes organisations ne résistent pas toujours à ces spectacles funèbres, à ces violentes secousses de l’abîme. Quelques-uns en ont contracté des crises nerveuses qui les entraînent au tombeau. Au milieu de circonstances si terribles, l’institution n’a pourtant eu à déplorer dans sa flotte que de très rares catastrophes. Je me bornerai à raconter celle qui eut lieu le 3 novembre 1861. Entre quatre et cinq heures de l’après-midi, la goélette Compland se rendait, toute chargée de granit, d’Aberdeen à Scarborough; mais ce fut en vain qu’elle tenta d’entrer dans le port : les mâts désemparés, elle se trouva repoussée par les vagues se chassant les unes les autres comme un troupeau de buffles sauvages, et entraînée vers un banc de sable qui s’étend en face du Spa, une promenade de la ville. Cependant le life-boat était déjà en mer et volait au secours de