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Vivant des libéralités publiques, l’institution a dû sans cesse ranimer dans le pays les sympathies en faveur des marins et des naufragés. Elle a recours à tout ce qui peut remuer le cœur et l’imagination, à la musique, la poésie, la gravure, la publicité[1]. Grâce à cet heureux concours de la littérature et des beaux-arts, le life-boat est devenu dans l’esprit des masses un objet sacré, le palladium des mers. Je me souviens d’avoir suivi dans les rues mêmes de Londres, il y a deux ans, une procession qui conduisait en triomphe vers la Tamise un nouveau canot de sauvetage construit pour la ville de Tynemouth. Une cinquantaine de marins appartenant à la réserve. Royal naval reserve, ouvraient la marche, musique en tête. Le bateau était tiré sur son char par quatre magnifiques chevaux. Des volontaires en uniforme accompagnaient le cortège, et sur tout le parcours la foule témoignait une sorte de respect enthousiaste pour une institution qui offre ses services à tout le monde sans considérer le rang, la religion, ni la nationalité. Ce n’était pas, je l’avoue, l’entrée étourdissante de Garibaldi à Londres, mais c’était pourtant bien une ovation. Dans les villes maritimes où le life-boat apparaît pour la première fois, les cloches sonnent, le canon tonne, et les mouchoirs s’agitent. C’est cette force morale de l’opinion qui ouvre la source des dons volontaires et des souscriptions. L’ensemble des recettes de la société a été, en 1863, de 21,101 livres sterling 6 shillings 3 deniers (527,533 francs). Parmi ces dons, il en est qui se distinguent par une véritable munificence : une maison de Londres, celle de MM. Cama et C° négocians hindous, parsee merchants, a envoyé à elle seule 2,000 livres sterling. Il en est d’autres qui ont un caractère touchant : — « 5 shillings provenant des économies d’un enfant, 20 livres sterling offerts par la fille d’un marin et le fruit de son travail à l’aiguille, 100 livres sterling donnés par un inconnu pour remercier Dieu de lui avoir sauvé la vie sur mer dans la tempête du 31 octobre 1863. » Les gouvernemens étrangers ont aussi plus d’une fois témoigné leur reconnaissance à la société pour les services rendus à leurs marins par les canots de sauvetage anglais. Le 20 octobre 1862, Annie Hooper, un grand vaisseau américain, faisant voile de Baltimore à Liverpool, cherchait à forcer l’entrée de la rivière Mersey, remorqué par un bateau à vapeur, quand le capitaine et le pilote, trouvant une résistance invincible, jugèrent prudent de rega-

  1. L’institution publie elle-même tous les trois mois un recueil intitulé le Life-boat. Plusieurs chansons ont célébré les hauts faits du canot de sauvetage, et il en est une tout à fait populaire, commençant par ces mots : Man the life-boat (rassemblez dans le canot les hommes de l’équipage), que le chanteur anglais Henry Russell a répandue dans les concerts, et qui ne manque jamais de produire une grande émotion.