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avait échoué en vue des côtes de Norfolk sur les sables d’Hasborough près de Bacton. Le bateau ayant sombré, les quatre hommes de l’équipage et un mousse, boy, se réfugièrent sur le mât. Depuis une nuit et un jour, ils n’avaient point d’autre soutien que cet arbre élevé d’environ huit pieds au-dessus de la mer en fureur. Ils étaient sans nourriture et presque sans vêtemens. L’un d’entre eux ôta sa chemise et l’agita dans l’air comme un signal de détresse; mais le vent l’arracha de ses mains affaiblies. Le mousse, juché aussi bien que les autres sur la cime du mât, tint bon jusqu’au second jour, quand, épuisé de fatigue, il lâcha prise et glissa lourdement dans la mer. Un des hommes vint à son secours, le saisit et le replaça dans la position qu’il avait perdue. On n’avait rien pour l’attacher au mât, il n’y avait plus de traverses pour se reposer : aussi la nuit suivante l’enfant, presque insensible de froid et ayant dépensé toutes ses forces, se laissa tomber de nouveau; cette fois il fut perdu dans l’abîme. Le lendemain, les naufragés eurent un rayon d’espoir. Un navire qui passait au loin aperçut leurs signaux, entendit leurs cris et envoya une chaloupe à leur secours. Après avoir lutté en vain contre le vent et la marée, la chaloupe abandonna la partie et retourna vers le vaisseau. Les quatre infortunés virent ainsi s’éloigner et s’évanouir toute chance de salut. Un sombre désespoir s’empara d’eux : ils dirent adieu à la vie. Cependant ils avaient résolu de mourir à leur poste, et ils embrassèrent le mât avec frénésie. Une ou deux heures après, ils entendirent tirer le canon. À ce bruit, ils, reprirent courage : c’était peut-être un signal! Une yole avait été en effet lancée en mer pour les chercher; mais comme ils ne formaient qu’un point perdu sur le vaste océan et que la nuit descendait en ce moment même à la surface des eaux, on ne put les découvrir. La yole revint tristement vers le rivage, et les ténèbres s’épaissirent sur la mer. C’était la troisième nuit : ils la passèrent comme les deux autres cramponnés à la tête du mât et craignant de plus en plus que, la base venant à céder d’un instant à l’autre, ils ne fussent tous ensevelis dans les vagues. Le lendemain matin, le bateau de Bacton fit une nouvelle tentative, les atteignit vers dix heures et les débarqua plus morts que vifs à Palling. Dès qu’ils furent en état de supporter le voyage, on les transporta à l’asile des marins dans la ville d’Yarmouth, Yarmouth sailor’s home. Leurs membres gonflés et engourdis, leur pâleur de spectre, leur morne silence, tout proclamait assez les terribles épreuves qu’ils avaient subies. Il fallut plusieurs semaines pour les remettre sur pieds. L’institution des life-boats vota une récompense de 18 livres sterling à l’équipage de la yole qui les avait tirés en quelque sorte du fond du sépulcre.