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ce que vous voulez dire. Nous sommes tous de grands pécheurs, cela est vrai, la preuve en est faite. » Je fis la révérence, et je laissai ce qu’on appelle le consistoire suprême dans la méditation de la grande vérité que je venais de lui dire. »

C’est par cette saillie impertinente, par cette pirouette d’un talon rouge en face d’un conseil si paternel et si grave, que se termine un épisode dont les péripéties avaient failli tourner au tragique. Nous devons ajouter en historien fidèle que l’épouse divorcée de Maurice de Saxe se maria trois ans après avec un gentilhomme entouré de l’estime générale, M. de Runkel. Il faut croire qu’elle s’était relevée par le repentir, car ce second mariage la consola du premier. M. de Runkel, par une gestion habile, put sauver les débris de l’immense fortune que le comte de Saxe avait si gravement compromise. Plusieurs enfans, nés de cette union, vinrent honorer et bénir l’ancienne comtesse de Saxe. Elle mourut en 1747. On dit que Maurice, une fois le divorce prononcé, lui montra beaucoup d’égards et même une sorte d’amitié en diverses circonstances. Que le fait soit exact ou non, il est certain que Johanna-Victoria se trouve comme réhabilitée par la seconde moitié de sa vie. Je ne sais si de nouveaux documens nous feront jamais connaître les vrais motifs du rôle si singulier qu’Aurore de Kœnigsmark joua auprès de sa belle-fille ; en attendant, il paraît difficile d’ajouter foi à tous ses rapports, et quant aux accusations de la Rosenacker, il faut sans doute les mettre sur le compte d’une imagination exaltée. Ajoutons encore un trait singulier de cette singulière histoire. Si le comte de Saxe ne cessa de lui montrer du respect pendant tout le temps qu’il séjourna en Allemagne, il évita de parler d’elle aussitôt qu’il fut établi en France. Voulait-il écarter le souvenir d’un épisode qui lui faisait peu d’honneur ? Avait-il, à défaut de scrupule, quelque autre raison de garder le secret ? Était-ce simplement indifférence et oubli ? Je ne sais ; ce qui est certain, c’est qu’à la cour de France on ignorait absolument l’histoire de son mariage. Mme de Pompadour, écrivant à la duchesse d’Estrées quelque temps après la mort du maréchal de Saxe, lui disait : « À propos de ce pauvre Saxe, il avait quelquefois des idées singulières. Je lui demandais un jour pourquoi il ne s’était jamais marié. — Madame, dit-il, comme le monde va à présent, il y a peu d’hommes dont je voulusse être le père, et peu de femmes dont je voulusse être l’époux. — Cette réponse n’était pas galante, mais pourtant il y a quelque apparence de raison. Il disait aussi qu’une femme n’était pas un meuble propre à un soldat. »

Ces derniers mots, qui résument si bien la période dont nous venons de tracer l’histoire, expliqueront toute la vie de Maurice de