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et de la liberté. En Serbie et dans tout l’Orient, ils servirent de remparts à la nationalité. Encore aujourd’hui, en contemplant un de ces cloîtres contemporains des premiers rois serbes, — Manassia, par exemple, assis à l’extrémité d’un mamelon qui s’avance en forme de promontoire au sein d’une gorge étroite, en voyant cette double enceinte crénelée, ces murs de vingt à vingt-cinq pieds d’épaisseur, ces tours percées de meurtrières, ces restes de fossés, de ponts-levis, de fortifications, on comprend le rôle que jouèrent les monastères avant et depuis la prise de possession des Turcs; ils offraient à la fois un lieu de refuge aux femmes et aux enfans et un centre de ralliement aux milices sans cesse occupées à guerroyer contre les Turcs. Mais de nos jours quelle peut être l’utilité de ces cloîtres? Je me souviens d’une conversation que j’eus à ce sujet avec l’higoumène de Ravanitza. Comme je lui demandais si le monastère était riche : « Il ne l’est que trop, répondit-il, puisque nos revenus excèdent nos besoins. Avec la moitié, le quart du produit actuel de nos terres (et encore la majeure partie reste-t-elle en friche, faute de bras pour la culture), nous pourrions subvenir à toutes nos dépenses, pourvoir à l’entretien de l’église, remplir les devoirs de l’hospitalité envers les voyageurs qui nous font l’honneur de nous visiter. Que n’emploie-t-on le surplus à la création d’une école, d’une imprimerie, d’une ferme-modèle, que sais-je? Nous trouverions là un fructueux emploi de notre temps et de nos connaissances. Nous deviendrions des membres utiles et actifs de la nation au lieu de demeurer des plantes parasites... » J’étais surpris du langage de ce moine. — « Pensez-vous sérieusement ce que vous dites? — Si sérieusement que j’ai proposé maintes fois au gouvernement de prendre non pas une partie, mais la totalité de nos revenus, et de les employer comme je viens de dire. — Le conseil était nouveau, mais bon à suivre. — Malheureusement, ajouta le moine, on ne l’a pas suivi, j’ignore pour quel motif; le jour où l’on se ravisera, peut-être rencontrera-t-on plus de difficultés : dans vingt ans, nos domaines, dont nous tirons aujourd’hui sept à huit cents ducats à grand’peine, nous en rapporteront trois mille pour le moins; plus riches, nous serons peut-être plus avares. Pour le moment, notre pauvreté nous permet encore d’être généreux. » Ce langage, si peu ordinaire dans la bouche d’un moine, m’étonnait de plus en plus. — « Plut à Dieu, lui dis-je, que nos prêtres vous ressemblassent! Vous vous plaignez d’être trop riches; eux se plaignent d’être trop pauvres. Vous offrez, de remettre à l’état sans indemnité une portion de vos domaines; eux se regardent comme spoliés parce que, il y a quelque soixante-dix ans, dans une grande tourmente, la nation a supprimé les revenus ecclésiastiques et les a remplacés par un traitement fixe pareil à celui