Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/443

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un baron du moyen âge plutôt que du salon d’un évêque. Comme je m’excusais sur l’heure matinale de notre visite, témoignant quelque crainte de l’avoir dérangé : « Point, dit-il; j’aime à me lever matin, et c’est moi qui éveille mes gens. — Quoi! en vérité? — Sans doute; ne faut-il pas que le berger soit levé avant le troupeau? — Vigilantia pastoris, incolumitas pecoris, repris-je, et, ajoutai-je en désignant du doigt les armes accrochées à la boiserie, je vois que cette vigilance s’étend à tout, et que votre grandeur ne se considère pas seulement comme ayant charge d’âmes. » Il sourit. «Que voulez-vous? nous autres habitans des frontières, nous sommes tous forcément un peu soldats. Si une bande de loups ravisseurs vient fondre sur mon troupeau, ne dois-je pas le défendre? » Dans la même matinée, l’évêque devait faire une visite pastorale au monastère de Jitcha; il nous proposa de l’accompagner. Jitcha, fondé par saint Sava, est un des plus anciens monastères de la Serbie et un des plus curieux sous le rapport historique. Je demandai à Mgr Joanice, pendant qu’il nous faisait visiter l’église, si le couvent possédait quelques archives. Il me répondit que non, les Turcs ayant tout détruit. Deux dames anglaises qui étaient venues en Serbie à la fin de 1862, et dont nous suivions pour ainsi dire la trace depuis notre départ de Belgrade, lui ayant adressé la même question, il les avait conduites dans une des nefs latérales, et, leur montrant les images des rois et des saints mutilées par la main des Turcs : « Voilà, répondit-il, nos archives! Et sachez qu’aussi longtemps que nous aurons sous les yeux ces monumens de la barbarie de nos oppresseurs, il n’y aura point de réconciliation entre nous et les Turcs! »

M. Denton constate, d’après je ne sais quelles données, que les moines serbes, qu’il appelle de « véritables paysans en soutane (peasants in cassoks), » sont de beaucoup inférieurs aux popes, qu’ils sont moins aimés, moins considérés par le peuple, et il attribue à cette circonstance la dépopulation graduelle des monastères en Serbie. La vérité est que les quarante-trois monastères que compte maintenant la Serbie ne renferment pas plus de cent vingt-cinq religieux, ce qui donne une moyenne de trois religieux, y compris le supérieur, pour chaque monastère. Le plus peuplé de tous ces couvens, Stoudénitza, dans le district de Tchatchak, était habité en 1863 par dix moines. En revanche, un grand nombre n’en renferment pas plus de deux, le supérieur et son acolyte. Il y a, je crois, une autre raison de cet abandon de la vie religieuse en Serbie. C’est qu’ici, comme partout ailleurs, le monachisme, du moins à l’état abstrait, n’a plus sa raison d’être, et que là où il s’est maintenu, il constitue un véritable anachronisme social. On sait ce que furent les cloîtres durant notre moyen âge, les asiles de la science