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rope ; à considérer ses ressources, il semble qu’il n’y ait pas de peuple qui dût avoir de plus belles finances. Cependant, avec toutes les conditions d’une immense richesse, n’est-il pas vrai que depuis quelques années nous avons eu recours, dans le maniement de notre trésorerie, à des attitudes et à des expédions qui nous donnaient je ne sais quel air nécessiteux ? Quant à nous, avec l’idée que nous avons de notre grandeur financière, nous nous sommes plus d’une fois sentis humiliés lorsque nous avons vu afficher des embarras de dette flottante, des gênes du trésor au-dessus desquels une résolution un peu ferme et le moindre effort auraient pu toujours nous placer. Et ici nous ne craindrons point de nous séparer de M. Thiers dans le jugement qu’il a porté sur le sénatus-consulte de 1861 et le nouveau système de comptabilité législative introduit par M. Fould. L’empereur nous a toujours paru avoir fait au contrôle du corps législatif une concession Importante quand il s’est dessaisi de la faculté de décréter les crédits supplémentaires. M. Thiers ne voit point dans le nouveau système une garantie suffisante d’économie ; l’esprit d’économie, c’est à la politique qu’il le demande. Eh ! sans doute, les finances sont les servantes de la politique, et c’est la politique qui est responsable des fautes financières ; mais la substitution du vote législatif au système des décrets a une importance politique qui ne nous semble pas pouvoir être niée. Le système des décrets ajournait outre mesure le contrôle législatif et par conséquent le privait de force ; le nouveau système provoque au contraire le contrôle au moment même ou bien près du moment où la dépense devient nécessaire, et lui assure par conséquent une efficacité réelle. M. Thiers a dit à propos d’un ministre dont il a dignement loué le mérite un mot charmant : — ce qui manquait à M. Magne, c’était une certaine férocité. — Peut-être M. Thiers est-il trop exigeant vis-à-vis des ministres des finances sous un régime où les ministres ne sont plus responsables vis-à-vis du pouvoir législatif. Confier à la rudesse d’un seul homme la défense de l’équilibre financier, c’est trop demander à la nature humaine. L’histoire du premier empire nous montre que les meilleurs esprits n’ont point été capables de telles résistances. Certes la France n’a pas eu d’administrateur plus éclairé que M. le comte Mollien : M. Mollien, ses mémoires nous l’apprennent, blâmait souvent les conceptions économiques ou financières de Napoléon malgré la vive admiration qu’il éprouvait pour le génie de l’empereur ; mais il obéissait à des ordres dont son intelligence voyait toutes les fâcheuses conséquences. Il se renfermait dans ses fonctions de ministre du trésor, sachant bien que la férocité n’eût point été de mise contre l’empereur, devant qui seul il était responsable. En soumettant les crédits supplémentaires au vote immédiat du corps législatif, c’est à la chambre que l’empereur a donné la prérogative d’une résistance opportune. C’est donc à la chambre maintenant d’être féroce. Dieu nous garde d’accuser le présent corps législatif de posséder ce défaut au degré qui pourrait plaire à M. Thiers ! Cependant la chambre