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ner avec sûreté l’impulsion à l’activité économique, cet homme d’état touche à l’idéal victorieux de la politique financière. Cet idéal, nous ne faisons guère en France que l’entrevoir, nous y aspirons sans cesse, et il ne nous a pas été encore donné de l’atteindre. M, Thiers et M. Berryer viennent de nous exhorter encore à le poursuivre : M. Vuitry et M. Rouher nous ont donné l’espoir que nous allions enfin le saisir, et, comme nous le disions plus haut, nous sommes en effet en un de ces momens où, avec beaucoup d’application et de vigilance au sein du pouvoir, il semble que les promesses qui nous sont faites par les orateurs du gouvernement pourraient être promptement réalisées.

La partie la plus aride d’un débat financier semblerait devoir être la discussion du budget des dépenses, si M. Thiers n’existait point et si la France n’était encore dans l’enchantement de son merveilleux discours. Nous avons souvent exprimé l’admiration que nous inspirent les entraînans exposés de M. Gladstone ; mais comme la tâche du ministre anglais est plus facile ! M. Gladstone n’a point à critiquer : il raconte les prospérités du revenu ; il a la force de contenir ses dépenses dans des limites solides, et il y est aidé par la chambre et le public auxquels il s’adresse ; il produit triomphalement des excédans de ressources, et ces épargnes du trésor, il les fait fructifier par des réductions de taxes au profit de l’activité économique de son pays. Influant ainsi chaque année sur la vie industrielle et commerciale de sa nation, il a, en matière de finances, les joies de celui qui peut créer. La fortune n’accorde point à M. Thiers de telles faveurs. L’orateur français est réduit à nous prêcher l’esprit d’économie, et, pour nous convaincre, il faut qu’il fasse entrer dans nos esprits l’intelligence du budget des dépenses en décomposant des masses de chiffres, en nous démontrant mathématiquement en quoi les frais de revient de notre vie politique dépassent les limites de la prudence ; mais, pour accomplir ce patriotique travail, M. Thiers obtient de l’art tout ce que la fortune lui refuse. Quelle délicieuse adresse de composition, quelle belle distribution des parties, quelle science du clair-obscur ! Quelle vie M. Thiers sait donner à ses chiffres ! comme il les entoure d’air et de lumière, comme il les anime et les fait briller, agir, parler ! Devant ces victoires de l’art, il faut oublier les sympathies ou les dissidences de partis, il faut se réjouir dans l’admiration et féliciter le pays où l’on sait encore parler de politique avec cette élévation et avec cette grâce. Sur le fond des choses, nous doutons que personne s’éloigne de l’opinion de M. Thiers. La France, depuis dix années, s’est trop abandonnée au penchant de la dépense. Nous avons armé, guerroyé, bâti sans compter. Que cette vie de luxe ait eu son éclat, qui le nie ? Mais nous sommes toujours surpris que ceux qui placent la gloire dans la prodigalité ne soient point retenus dans leurs entraînemens par une sorte de point d’honneur qui devrait avoir aussi sa sensibilité en matière financière. Nous l’avons dit souvent : la France est le pays le plus riche de l’Eu-