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tive[1], » et, pour achever d’expliquer sa pensée, « aucun ermite, dit-il, ne fait autant de bien qu’un bon prédicateur qui a la vie contemplative en lui-même, et la vie active dans la prédication[2]. » Je comprends et je reconnais ici le pénitent qui allait chercher la vie contemplative sur la montagne pour se préparer à la vie active ; c’est la réflexion qui précède l’action.

Une fois qu’il est sûr de la mission qu’il tient de Dieu, il s’y livre avec une activité admirable. Il parcourt toute l’Europe, demandant aux papes et aux princes de créer des monastères où l’on enseignera les langues orientales ; il veut créer partout des écoles de propagande. Son souverain, le roi de Majorque, fonde à Palma, sur ses instances, un couvent où treize frères étudient la langue arabe. Raymond Lulle a commencé lui-même par l’apprendre. Il a acheté un esclave arabe et l’a pris pour précepteur ; mais un jour l’esclave, ayant su que son maître n’apprenait la langue arabe que pour convertir les infidèles, a essayé de le tuer à coups de poignard. Raymond Lulle l’a désarmé et lui a pardonné. Il a été plusieurs fois en Afrique, particulièrement à Bougie, et là il a argumenté avec les docteurs mahométans sur la trinité, essayant de les convertir. Il y en avait parmi ces docteurs quelques-uns qui, ayant le génie arabe, aimaient ces controverses théologiques ; mais d’autres, ayant l’esprit plus turc ou plus mahométan, s’en irritaient. Ils ameutèrent le peuple de Rougie contre Raymond Lulle, qui fut lapidé et laissé pour mort sur le rivage, où quelques marchands génois le recueillirent et le ramenèrent en Europe.

La prison et la lapidation parmi les infidèles n’étaient pas les plus pénibles épreuves de Raymond Lulle. Les princes et les papes rebutaient ses instances. Il resta pendant plus d’un an à Rome auprès du pape Boniface VIII, « non pas pour son intérêt et pour obtenir une prébende, mais suppliant sans cesse le pape pour la propagation de la foi parmi les infidèles[3]. » Il n’obtint rien de Boniface VIII ; il alla à Paris auprès de Philippe le Bel et n’obtint pas plus du roi que du pape. Espérant que les chrétiens d’Orient, étant plus près du mal, seraient mieux disposés à comprendre l’utilité du remède qu’il conseillait, il alla en Chypre et dans la Petite-Arménie. Les chrétiens d’Orient n’étaient occupés que de leurs divisions intestines. Il revint en Europe, continuant à prêcher son système de propagande, tantôt à Rome, tantôt à Gênes, à Mont-

  1. « Vita contemplativa est antecedens vitæ activæ. » (De Proverbiis.)
  2. « Nullus eremita facit tantum bonum sicut bonus prædicator qui habet vitam contemplativam in se ipso et activam in prædicando. » (Ibid.)
  3. « Non pro bono proprio vel pro præbenda, sed incessanter pro bono catholicæ fidei supplicans. » (Bollandistes, t. V du mois de juin, p. 646 ; Vie de Raymond Lulle.)