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opposé à la paix, et nous avons vu qu’à diverses reprises, malgré l’avis de plusieurs de ses collègues, et contrairement aux sentimens personnels du roi, il avait tenté de négocier avec les divers pouvoirs successivement établis en France; mais, s’il désirait cette paix honorable pour son pays, il tenait essentiellement aussi à ce qu’elle fût entourée de garanties qui en assurassent la durée, et il ne voulait pas exposer l’Angleterre à être surprise par de nouvelles hostilités au milieu d’un désarmement, ou après l’accomplissement de conditions qui auraient affaibli sa puissance. C’est l’absence de ces garanties qui l’année précédente l’avait déterminé à ne pas accepter les ouvertures faites par le premier consul : outre le peu de confiance que lui inspiraient les antécédens et le caractère personnel du général Bonaparte, il ne croyait pas au maintien d’un pouvoir sorti d’une insurrection militaire, et qu’une autre insurrection provoquée par quelque général mécontent pouvait à son tour renverser.

Toutefois les faits n’avaient pas répondu à sa prévision : l’ordre public rétabli en France, le retour au respect des lois, une impulsion éclairée et énergique imprimée à toutes les branches de l’administration, la gloire du drapeau français, un instant obscurcie, devenue plus éclatante que jamais par la conquête rapide de l’Italie, et les succès de l’armée du Rhin, avaient rallié autour du premier consul presque tous les partis. Le pays, heureux d’avoir retrouvé après tant d’orages un gouvernement protecteur et régulier, l’armée, fière de voir à la tête de l’état le plus glorieux de ses généraux, reconnaissaient également son pouvoir, et le premier consul était devenu le chef incontesté de la France. Toutes les chances de durée étaient en sa faveur, et la paix de Lunéville, le traité de neutralité armée signé entre les puissances du nord, laissaient de nouveau l’Angleterre isolée. On se trouvait donc en présence d’un gouvernement parfaitement établi, puissant au dehors et au dedans, désireux de donner des témoignages de sa modération, et s’il y avait moyen de traiter avec lui à des conditions dignes et avantageuses, refuser de le faire eût été déclarer qu’on voulait combattre jusqu’à la ruine totale de l’une des deux nations rivales, et mettre ainsi contre soi l’opinion publique de l’Europe. Pitt était à la fois trop sensé et trop modéré pour vouloir entraîner son pays dans de pareilles aventures. Aussi fut-il le premier à engager ses successeurs à négocier avec la France : consulté par eux sur toutes les questions à résoudre, il conseilla même plusieurs concessions importantes, entre autres l’abandon de l’île de Malte, et lorsque le traité de paix signé à Amiens fut soumis au parlement, il en fut le plus ferme et le plus éloquent défenseur.


« L’objet de la guerre, dit-il, a été notre défense propre et celle du reste