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quand l’art de la navigation, faible encore, s’effrayait de doubler le Péloponèse, l’isthme de Corinthe, qui séparait ces deux bassins, avait une grande importance, et c’est là ce qui fit la puissance et la richesse de Corinthe. Aujourd’hui ce n’est plus qu’un jeu pour la navigation de doubler le Péloponèse, et l’isthme de Corinthe n’est plus rien dans la politique du monde ; c’est tout au plus un obstacle local à la rapidité des communications entre le golfe de Lépante et la Mer-Egée. Peut-être y aura-t-il un jour un canal qui coupera l’isthme de Corinthe ; mais ce sera un travail municipal et, pour ainsi dire, un chemin de grande communication entre deux communes.

Il y a une autre circonstance qui sert ou nuit beaucoup à l’importance des isthmes considérés comme moyens de communication, c’est la constitution géographique elle-même des isthmes. Quand ces isthmes sont un peu larges, comme l’isthme de Suez et celui de Panama, il faut savoir s’ils se composent de déserts incultes et de montagnes inaccessibles, ou si ce sont des pays ayant des fleuves et des lacs, des pays riches et civilisés. Tout change selon l’état des milieux qu’il s’agit de traverser. Si ce sont des plaines incultes et des déserts sans eau, alors nous arrivons à la lenteur et aux périls des caravanes. Du golfe Persique aux côtes de la Méditerranée, on peut prendre l’Assyrie et la Syrie pour un grand et immense isthme qui sépare deux mers et deux parties du monde. Pendant longtemps, dans l’histoire ancienne du monde, ce grand isthme a été le siège de puissans états et de grandes capitales, Babylone, Ninive, l’Assyrie, la Phénicie, la Syrie. Il y a là de plus deux grands fleuves, le Tigre et l’Euphrate, qui, animés et aidés par la civilisation, servaient aux transports du commerce. Ayant de pareils milieux à traverser, le commerce était à l’aise. Il trouvait partout secours et protection. C’était un de ses grands chemins. Aujourd’hui Babylone et Ninive sont des ruines, Palmyre aussi ; l’Assyrie et la Syrie méridionale sont des déserts. L’Euphrate est rendu à la solitude. Le commerce a déserté une de ses routes favorites, rebuté par les difficultés et les périls du milieu qu’il avait à traverser.

L’isthme de Panama a reçu de la nature de grands avantages. D’abord il est étroit et ne présente pas un trop grand milieu à traverser : premier avantage ; de plus il y a dans ce milieu un lac et un fleuve. Le lac a cent vingt milles de long sur quarante à soixante milles de large : le fleuve, qui est le Saint-Jean, sert d’écoulement à ce lac dans le golfe du Mexique, avec un bon port à son ouverture. Du lac Nicaragua à l’Océan-Pacifique, il n’y a que neuf milles anglais, mais une montagne à percer. Cette simple description montre ce que les lieux attendent de l’homme. Ils offrent