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de quoi il est capable et quel est le produit qui ne sera pas détrôné par la concurrence. L’heure est venue pour la Savoie de faire l’examen de ses forces naturelles. L’annexion l’a unie à un pays qui a beaucoup de produits à lui apporter, mais qui a aussi beaucoup de besoins à satisfaire. L’illusion est possible sur la direction que doit prendre son activité agricole. Est-ce sur la production vinicole ? Sans doute, la Savoie a de magnifiques coteaux, qu’elle pourrait augmenter de moitié, dont les vins sont susceptibles d’acquérir les grandes qualités par une culture améliorante et une vinification perfectionnée ; mais que sont ses 15,000 hectares de vignes à côté des 2 millions de la France ? Sa production vinicole, même accrue de moitié, ne sera jamais qu’un faible ruisseau à côté du grand fleuve débordant du vignoble français sur la Savoie elle-même. Est-ce à la culture des céréales qu’elle doit s’attacher ? Mais, à côté de ce grenier d’abondance qui s’appelle la France, rempli chaque année, récolte ordinaire, de 80 millions d’hectolitres de blé, n’y aurait-il pas danger à se livrer trop exclusivement à cette culture qui épuise la terre et ne paie pas toujours la main-d’œuvre et l’engrais qu’elle coûte ? Les 200,000 hectares qu’elle occupe trahissent une fausse direction, contre laquelle réagissent les agriculteurs éclairés en faisant reculer les céréales devant les fourrages.

La seule industrie agricole qui n’ait à craindre ni l’exagération ni la concurrence, nous l’avons indiquée. Elle est donnée non-seulement par le sol et le climat, mais par le débouché. L’annexion a ouvert devant l’élève du bétail faire immense de la France, signalée entre toutes celles de l’Europe occidentale par le peu de densité de la population bovine qu’elle porte, où la demande devient chaque jour plus pressante par la cherté de la viande et par les progrès de l’alimentation publique, qui tend à généraliser le fameux pot-au-feu qu’avait rêvé le bon roi. Avant l’annexion et malgré la barrière élevée des tarifs, la Savoie y versait déjà ses robustes élèves, et en 1857 l’exportation du bétail avait atteint la somme de 2 millions de francs. Depuis que la barrière est renversée et que le concours régional tenu en Savoie a mis en lumière les qualités de ses races, la demande est arrivée de tous les points de la région du sud-est de la France, des départemens limitrophes aux bords de la Méditerranée, et l’industrie de l’élève est sollicitée par des prix qu’elle n’avait pas connus auparavant. Ses produits vigoureux et sains, descendus sur la plantureuse plaine française avec l’appétit aiguisé par l’air pur de la montagne, acquièrent rapidement de la valeur, et rapidement transforment en graisse, en lait ou en force de travail leur ration plus abondante qu’au pays d’origine.

La nouvelle administration a vu dès le commencement dans quelle direction étaient les vrais intérêts de l’agriculture savoisienne : elle