Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/641

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a encouragé l’industrie de l’élève par des primes largement distribuées aux génisses, aux reproducteurs, aux vaches laitières et aux fermes qui portent le plus de têtes de bétail sur une contenance donnée. En dehors des encouragemens officiels, la production est plus efficacement stimulée par les facilités nouvelles de transport et par le mouvement économique qu’elles produisent. La Savoie n’est plus le pays d’autrefois, isolée du Piémont par le Mont-Cenis, isolée de la France par les douanes, séparée de la Suisse par des préjugés et des haines de religion, coupée d’elle-même par des montagnes et des cols qu’aucune route praticable ne traversait. Aujourd’hui elle s’ouvre de tous les côtés par des routes qui lui amènent les produits du dehors. La locomotive a pénétré dans ses vallées, elle s’approche du mur des Alpes, et bientôt, on l’espère du moins, elle s’enfoncera dans le massif profond où le génie d’un Savoyard[1] exécute le gigantesque projet de lui frayer un passage. Le réseau des voies ordinaires, commencé sous l’administration précédente, s’achève sous la nouvelle; les cols sont franchis et les montagnes rapprochées du bas des vallées. Toutes ces facilités de communication forcent l’agriculture à choisir sa spécialité, car les produits dont elle croyait avoir le monopole, le blé, le vin, les fromages et même les pommes de terre, lui arrivent de toutes parts et s’emparent de son marché intérieur. Depuis l’annexion, le numéraire s’écoule en échange des produits que la Savoie achète du dehors, et sans le puissant mouvement des travaux publics et des dépenses locales qui le ramène sans cesse, la rareté du numéraire se ferait plus vivement sentir; mais le ressort de l’administration peut se détendre ou être faussé par les événemens politiques, et d’ailleurs les travaux entrepris ne dureront pas toujours. Le jeu naturel et permanent de la production agricole peut seul retenir aux flancs des Alpes l’abondance et la prospérité, et l’arbre moteur de ce mouvement, c’est l’élève du bétail, la vache et son veau.


HUDRY-MENOS.

  1. Le travail du grand tunnel des Alpes est dirigé par M. Sommeiller, de Saint-Jeoire dans la Haute-Savoie, l’inventeur des machines à air comprimé qui attaquent le rocher. Son nom est toujours associé dans cette œuvre à ceux de deux ingénieurs piémontais, MM. Grandis et Grattone; mais c’est lui qui joue le rôle principal. Il s’est multiplié pour mener à bonne fin l’entreprise, qui sera une des plus grandes de notre siècle, tour à tour inventeur, ingénieur, ouvrier même et maniant le marteau dans les ateliers de Gênes, de Belgique et d’Angleterre pour la construction de la machine perforatrice, orateur au parlement sarde et publiciste au besoin pour faire adopter son idée et obtenir du gouvernement les fonds nécessaires aux essais.