Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/663

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourrait, sur ce terrain, obtenir le consentement de la tsarine et celui des états de Pologne. Un conseil des ministres saxons, tenu le 25 avril 1726, sous la présidence du prince-royal Frédéric-Auguste, celui qui fut plus tard le roi de Pologne Auguste III, approuva cette politique. Il est vrai que plusieurs mois après, dans cette même année 1726, le comte de Flemming écrivait ces mots : « L’affaire de Courlande a été entreprise à l’insu du ministre polonais et contre le sentiment du ministère allemand, tant catholique que protestant; » mais M. de Weber, qui a sous les yeux tous les papiers des archives de Dresde, les registres et les procès-verbaux du ministère, n’hésite pas à donner un démenti à Flemming. « Cette lettre, dit-il, prouve seulement qu’on ne peut pas toujours se fier aux affirmations diplomatiques. » Le roi et ses ministres favorisaient donc au mois d’avril 1726 les projets du comte de Saxe. On résolut de l’envoyer en Courlande et à Saint-Pétersbourg, sans éveiller toutefois les soupçons. Une occasion se présentait. La comtesse de Kœnigsmark était depuis longtemps en instance auprès du gouvernement russe pour obtenir la restitution des îles Moën et de quelques domaines en Esthonie, comme héritière de son frère Otto-Wilhelm de Kœnigsmark. Fatiguée de cette poursuite inutile, sans doute aussi pour fournir un prétexte au voyage de son fils, elle lui transmit ses droits sur les îles Moën, et dans une lettre pressante lui exprima le désir de le voir bientôt en possession de ce domaine. C’était presque un devoir de famille, un devoir d’honneur qu’elle lui imposait, se déclarant elle-même impuissante à le remplir. Tout était prêt pour le départ de Maurice; la lettre royale que le jeune comte devait présenter à la tsarine était déjà signée, quand tout à coup, soit que les états de Pologne eussent soupçonné ce qui se passait, soit que la tsarine eût été informée de son côté, soit que Flemming eût commis sous main quelque trahison pour empêcher le succès de l’affaire, le roi changea d’avis et défendit à Maurice de se mettre en route.

La scène se passe le 21 mai, dans la soirée. Maurice est en habit de voyage, botté, éperonné, la cravache à la main. Le comte de Manteuffel lui apporte le message du roi son père. « Est-ce un ordre? dit Maurice. — Je le crois, répond le ministre. — Je n’aurais garde de désobéir au roi en toute autre chose; mais si je ne pars pas, tout est perdu pour moi, et je songerai à ce que je dois faire. » Là-dessus, il sort subitement, laissant le ministre un peu étourdi de ce langage. Il était clair que Maurice ne se soumettrait pas. Avait-il même délibéré bien longtemps? Pendant que M. de Manteuffel attend le résultat de ses méditations et la réponse définitive qu’il doit porter au roi, il apprend que le comte a déjà pris congé de plusieurs dames et leur a dit : «Ce sera un bon coureur, celui qui me rattrapera. » Le ministre retourne au palais en toute