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à qui ma parole me lie et me déshonorer chez une nation entière qui a mis sa confiance en moi ; j’espère que l’univers ne me condamnera pas quand il saura que j’ai toujours été soumis et obéissant aux ordres du roi, même dans mon engagement avec les Courlandais.

« Je vous représente ces choses pour vous persuader, monseigneur, que ma fermeté ne peut que m’être honorable, si malheureusement il en fallait venir à ces extrémités que vous me faites redouter ; et quand j’ai eu l’honneur d’écrire à votre altesse royale que je préférerais toujours une mort honorable à une honteuse vie, j’ai voulu dire que si le cœur de sa majesté me désavouait, je me remettrais entre les mains de ceux à qui il voudrait bien me livrer après avoir mis mon parti à couvert. Votre altesse royale a les sentimens trop élevés pour ne pas approuver cette conduite ; après quoi, monseigneur, je ne crains pas les événemens ni la guerre, et s’il ne faut que combattre les Polonais, vous me verrez bientôt une armée à leur opposer… Mais, sans m’engager dans de vains propos, je continuerai de rendre compte à votre altesse royale de la situation des choses. Le grand-général, que j’ai vu ici, est plus ferme que jamais ; il m’a dit qu’il fallait tenir bon, que l’affaire était avantageuse pour le roi et qu’il ne pouvait pas manquer d’y revenir dès que la situation le permettrait, qu’il fallait attendre ce moment avec constance et se conduire, en attendant, avec prudence, qu’il me promettait de ne jamais m’abandonner, dût-il y perdre la vie… Au reste, les Moscovites donnent les mains, et la garnison de Riga a ordre de me soutenir en cas de besoin. La diète est convoquée en Courlande et se tiendra le 26 juin. On m’assure que je serai unanimement élu. Mon dessein cependant est, pour ne choquer personne, de ne prendre que le titre de régent pour un an, mais de successeur pour moi et ma postérité après la mort du duc Ferdinand. Je crois, monseigneur, que l’on ne peut en user avec plus de modestie, et je souhaite plus que la vie que cette conduite plaise à sa majesté et à votre altesse royale. J’ai mis sur le papier ci-joint les droits des Courlandais au sujet de l’élection d’un duc, et je vous prie, monseigneur, de le lire avec attention. Quand il s’agira de faire la guerre sur le papier, je vous en ferai voir d’autres, et je vous assure, monseigneur, que je ne crains la république ni de l’une ni de l’autre façon[1] . »


Ainsi le sort en est jeté : voilà Maurice en Courlande. Il resta quelque temps à Mitau, faisant sa cour à la grande-princesse Anna Ivanovna. La princesse, qui ne le connaissait encore que de réputation, fut charmée de sa bonne grâce. « J’ai le bonheur de ne pas lui déplaire, écrit Maurice à la comtesse de Kœnigsmark ; elle a exprimé à la tsarine elle-même le désir de redevenir duchesse de Courlande en partageant mon sort. » Tout marchait au gré de ses vœux. Le roi de Pologne, nous l’apprenons encore par une lettre de Maurice à sa mère, s’était opposé, par politique seulement, à son

  1. La république, c’est-à-dire les seigneurs de Pologne. On sait que la Pologne, bien que placée sous l’autorité d’un roi, avait conservé les institutions d’une république aristocratique. Or cette république surveillait d’un œil jaloux toutes les affaires de Courlande. Maurice dit ici qu’il ne craint la Pologne ni dans la guerre à coups de fusil, ni dans la guerre sur le papier.