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dans la gêne, lui-même hors d’état de trouver dans sa ville natale un travail lucratif, il a dii prier ses compatriotes Burbadge et Heminge de l’emmener avec eux à Londres et de lui procurer une place dans leur théâtre ?

Plus loin, à l’extrémité de la ville, sur les bords de l’Avon, on rencontre la pittoresque église dans laquelle repose le corps de Shakspeare : église gothique de la fin du XIVe ou du commencement du XVe siècle, avec une tour normande plus ancienne. Une avenue de beaux tilleuls y conduit ; elle est entourée d’ormes gigantesques, et quand on la regarde à distance, on n’aperçoit à travers le feuillage que les fenêtres en ogive et la flèche élancée de la tour. De près on remarque la finesse et l’élégance de l’architecture. Le style gothique, qui en général ne convient qu’aux grands édifices, a été ici ramené avec beaucoup d’art à des proportions modestes, sans perdre son véritable caractère. On ne trouverait guère qu’en Normandie des églises de cette dimension qui offrent un ensemble aussi complet et dont les détails soient aussi achevés. Dans le pavé du chœur, près de la grille intérieure, une simple pierre indique la place où Shakspeare est enseveli par l’inscription suivante : « Bon ami, pour l’amour de Jésus, garde-toi de fouiller la poussière ici enfermée. Béni soit l’homme qui respecte ces pierres, et maudit soit celui qui dérange mes os ! » Cette défense, exprimée en vers trop plats peut-être pour qu’on y reconnaisse la main du poète, mais qui à coup sûr répondaient à ses véritables sentimens, à son attachement pour Stratford et à son désir de ne pas quitter le sol natal, a eu jusqu’ici la vertu d’empêcher toute profanation, Ni sa femme ni sa fille aînée, malgré leur regret d’être séparées de lui après la mort, n’ont osé demander qu’on violât sa sépulture. L’une a été placée à sa droite, avec une inscription latine, l’autre à sa gauche, avec une inscription anglaise, et les pierres voisines ont été réservées au reste de la famille. Plus d’une fois des curieux insatiables, comme il y en a tant en Angleterre, auxquels il ne suffit pas de voir la dernière demeure de Shakspeare, mais qui voudraient, pour se satisfaire complètement, contempler ses restes, toucher du doigt ses os et mesurer les dimensions de son crâne, se sont rassemblés pour pénétrer la nuit dans l’église de Stratford, avec l’intention arrêtée de soulever la pierre funéraire et de découvrir ce qu’elle recouvre. Toujours ils ont été retenus au dernier moment par une sorte de terreur superstitieuse, plutôt peut-être encore par la crainte de désobéir à la volonté formelle de leur poète favori que par celle de violer une tombe.

Au-dessus de la sépulture de Shakspeare, une sorte de niche engagée dans le mur du chœur supporte un buste authentique du poète