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fait par un artiste hollandais, Gérard Johnson, très peu de temps après sa mort, probablement d’après un moule en plâtre pris sur son visage. Ce buste n’a d’autre mérite que d’être supposé ressemblant; il paraîtrait même un peu barbare, avec les couleurs diverses dont il est bariolé, si l’on ne croyait y retrouver les traits de l’original. En le comparant aux trois portraits les plus célèbres de Shakspeare, à la gravure qui sert de frontispice à la première édition de ses œuvres, publiée en 1623 par ses amis Heminge et Condell, au portrait qui porte le nom du duc de Chandos, qui a appartenu à lord Ellesmere, et qui maintenant figure dans la Galerie Nationale de Londres, enfin à une peinture très curieuse conservée à Stratford, depuis plus d’un siècle, dans la famille de M. Hunt, et donnée par lui au musée shakspearien, on retrouve, avec des différences de détail, une physionomie pleine, calme, noble et ouverte, qui répond à l’opinion que les contemporains du poète nous ont laissée de son caractère, en l’appelant presque tous « l’aimable Will. »

Le comité de Stratford a créé, à l’occasion du jubilé, une galerie de peinture où l’on voit d’autres portraits de Shakspeare moins connus, où l’on n’a admis que des tableaux inspirés par ses œuvres ou relatifs à sa vie, et où il est surtout curieux d’observer tout ce que son théâtre a fourni de sujets aux peintres anglais. On a aussi construit pour la circonstance une vaste salle de spectacle pouvant contenir trois mille spectateurs, où j’ai vu jouer, devant un public très nombreux et très enthousiaste, la Douzième Nuit, la Comédie des Méprises, Roméo et Juliette, avec le dénoûment de Garrick, hélas! au grand mécontentement de tous mes voisins, et enfin Comme il vous plaira, cette charmante pastorale qu’encadre si naturellement le paysage de Stratford.

C’était là tout ce que le comité local pouvait faire pour honorer la mémoire du cygne de l’Avon. Je ne parle pas des banquets, qui sont toujours, sinon le plus stérile, du moins le plus passager des hommages. Réunir des peintures nées de l’œuvre de Shakspeare et faire jouer ses pièces, on ne pouvait offrir aux visiteurs qu’attirait la fête aucun plaisir qui fût plus conforme à la pensée qui les amenait, plus digne du grand souvenir dont ils étaient pleins. Pour le reste, on leur disait : Voyez. Nous n’avons pas besoin de fournir des élémens à votre curiosité; ils s’offrent à vous d’eux-mêmes. De quelque côté que vous vous promeniez dans la ville, vous trouverez une trace de l’existence du poète : ici la maison où il est né, là celle où il a vécu et où il est mort, ailleurs l’école où il a été élevé, l’auberge où il a joué avec ses camarades, l’église où il repose. Sortez-vous de Stratford et parcourez-vous la campagne environnante, vous y rencontrerez d’autres souvenirs. Ce chemin étroit qui serpente à travers les herbages, qui vous forcera à passer souvent