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la rade seule de Kiel est plus précieuse au point de vue militaire que tous les ports prussiens ensemble; les côtes donneront d’excellens matelots, et ce n’est pas l’argent qui manquera au grand œuvre de la nouvelle Allemagne. Peut-il convenir à la Grande-Bretagne qu’une rivale de plus lui soit créée? Ce n’est pas au moment où le percement de l’isthme de Suez l’inquiète sur sa domination méditerranéenne qu’elle donnera les mains à des remaniemens, de territoire où l’Allemagne trouverait enfin le complément redoutable de sa puissance.

La France, elle aussi, dès qu’on a pu prévoir l’éclat des hostilités entre l’Allemagne et le Danemark, s’est trouvée dans une position très délicate : si elle intervenait, elle ne pouvait le faire, afin d’être respectée et obéie, que la main sur la garde de son épée. Or c’était la guerre continentale, avec ses contre-coups en Pologne, en Hongrie, en Italie, qu’elle voyait, au premier grave dissentiment, se lever sur sa frontière, tandis qu’une démonstration maritime dirigée par la Grande-Bretagne aurait peut-être, sans devenir pour personne aussi compromettante, fait réfléchir les Allemands. Aurait-on immédiatement et sans autre péril atteint le but, si la France s’était jointe à l’Angleterre pour une action commune? C’est là un ordre de questions auxquelles, pour beaucoup de causes, il est fort difficile de répondre. Ce qui est sûr, c’est que le gouvernement français, en restant sans cesse bienveillant pour le Danemark, avait trouvé le moyen de ne jamais se lier envers lui, soit par des conseils qui parussent dégénérer en une pression indiscrète, soit par des promesses destinées à n’être pas accomplies. Il ne lui était pas arrivé de froisser les Danois, et l’Allemagne, de son côté, n’avait aucun reproche à lui faire. La France pouvait donc aborder franchement la conférence, où elle se présentait sans aucun dessein personnel qui fût étranger à l’intérêt général; mais, si elle n’ambitionne pour elle-même dans tout ce débat aucun avantage, il lui importe, au point de vue de sa puissance continentale, comme il importe à l’Angleterre au point de vue de sa puissance maritime, que l’Allemagne, déjà si forte par sa cohésion et sa résistance, ne transforme pas, en acquérant de nouvelles armes, sa nature essentiellement conservatrice en esprit d’agression et de conquête : ce serait là en effet une grave innovation, qui changerait toutes les conditions de l’Europe. En second lieu, le sort du Danemark ne saurait devenir indifférent à la France, pas plus qu’à l’Angleterre. Ce petit royaume, que la nature semble avoir jeté en avant de la Baltique pour en garder les clés au nom de tous, sans être asservi à personne, a besoin, pour répondre à sa mission, d’une indépendance que les prétentions allemandes menacent et compromettent. D’ailleurs, dans les cas de guerre continentale, qu’il serait imprudent de ne pas prévoir, il est notre allié naturel, et c’est un titre, on le sait trop bien, qu’il n’a jamais répudié.

La Russie n’a certainement pas dans la conférence une position aussi dégagée que celle de la France. Elle a peu manifesté ses vues, il est vrai,