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point important des arrangemens de 1815; elle ferait sa véritable entrée dans le monde politique à la faveur d’une convention européenne comportant un double triomphe de la théorie des nationalités. L’œuvre de la conférence une fois terminée, le groupe des états intermédiaires se trouverait en possession de tenir tête aux prétentions exclusives que pourraient susciter les projets ultérieurs de réforme fédérale.

Peut-être, si on la présentait avec l’énergie d’une conviction sérieuse et raisonnée, y aurait-t-il plus de chances qu’on ne croit pour le succès d’une solution qui offrirait cette fortune d’être à la fois conforme aux vœux légitimes d’une grande portion de l’Allemagne et à l’intérêt européen. Aller au-delà contre les droits du Danemark, ce serait, nous le croyons, franchir les limites qu’impose la justice. Nous ne parlons pas seulement ici des prétentions tendant à séparer de la monarchie danoise tout le Slesvig : ceux qui les ont élevées sont les plus dangereux ennemis de la paix de l’Europe; nous parlons surtout des projets de pacification qui auraient pour base une cession en faveur de l’Allemagne de la partie du Slesvig où l’allemand est parlé. C’est apparemment le droit des nationalités qu’on invoquerait à l’appui d’une telle solution; or il y a lieu de rappeler qu’en voulant appliquer le droit rigoureux, on arrive à l’injustice, summum jus, summa injuria. Que la conférence réponde ici au nom de l’Allemagne par un sacrifice correspondant à celui qu’elle aura imposé au Danemark en lui enlevant le Holstein, et les puissances neutres auront finalement servi l’intérêt de l’Europe par la haute moralité d’une sentence arbitrale qui aura obtenu de l’un et l’autre adversaire de notables sacrifices, et qui n’aura renoncé à l’application du droit extrême contre chacun d’eux que pour y substituer l’impartiale équité.

Ce que l’on a pu savoir des délibérations de la conférence répond-il à ces conclusions, et permet-il d’espérer un accord sur une pareille base? Les trois premières séances ont été consacrées à fixer un armistice qui, par la levée du blocus, aurait été nuisible au Danemark, s’il ne devait profiter aux négociations et servir la cause d’un arrangement équitable. On a ensuite, dans les séances du 12 et du 17 mai, abordé le fond de la question, mais non sans quelque difficulté pour obtenir des plénipotentiaires allemands des explications précises sur les griefs de leurs cours et sur la manière dont il aurait fallu, du côté du Danemark, mettre en pratique la constitution commune et les fameux engagemens de 1852. Jamais l’Allemagne ne s’est exprimée nettement à ce sujet, et il est naturel que la même abstention se soit produite dans la conférence. Quant au traité de Londres, personne n’ignore que les puissances allemandes ont absolument refusé de le reconnaître, et les puissances neutres ne se sont jamais formellement obligées à le défendre. Il est écarté : c’est une concession importante, qui s’accorde avec l’abandon du duché de Holstein, dans lequel ce traité réglait la succession, et qui n’entraîne pas à la rigueur le démembrement du Danemark, puisqu’il serait possible, en sacrifiant la lettre du traité, d’en conserver l’esprit quant à l’intégrité danoise.