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tés. Bien plus, elle compta dans les universités ses ennemis les plus acharnés; elle ameuta les docteurs de toute espèce. Elle fut l’œuvre de Florence, non de Padoue, des gens du monde, non des professeurs. Ni Pétrarque, ni Boccace, ni Bacon, ni Descartes, ne sont des hommes d’université. L’université de Paris en particulier, au XVIe siècle, atteignit le dernier degré du ridicule et de l’odieux par sa sottise, son intolérance, son parti-pris de repousser toutes les études nouvelles. Il fallut que la royauté, qui par sa puissante tutelle avait presque affranchi l’université de l’église, prît sous sa protection, contre l’université, le mouvement scientifique, et, par le Collège de France au XVIe siècle, par les académies au XVIIe créât un contre-poids à ces habitudes de paresse, à cet esprit de négation malveillante dont les corps purement enseignans ont beaucoup de peine à se préserver.

Le mouvement scientifique en France a eu ainsi pour patron la royauté. Nous n’avons pas à rechercher si ce patronage fut toujours éclairé. Dans notre pensée, la royauté, par l’extermination du protestantisme, causa aux fortes études bien plus de dommage qu’elle ne leur fit de bien par ses faveurs. Le protestantisme français sous Henri IV et Louis XIII avait été une merveilleuse école de philologie et de critique historique. La France protestante était en train de faire dans la première moitié du XVIIe siècle ce que l’Allemagne protestante fit dans la seconde moitié du XVIIIe. Il en résultait pour tout le pays un admirable mouvement de discussion et de recherches. C’était le temps des Casaubon, des Scaliger, des Saumaise. La révocation de l’édit de Nantes brisa tout cela. Elle tua les études de critique historique en France. L’esprit littéraire étant seul encouragé, il en résulta une certaine frivolité. La Hollande et l’Allemagne, en partie grâce à nos exilés, eurent presque le monopole des études savantes. Il fut décidé dès lors que la France serait avant tout une nation de gens d’esprit, écrivant bien, causant à merveille, mais inférieure pour la connaissance des choses, et exposée à toutes les étourderies que l’on n’évite qu’avec l’étendue de l’instruction et la maturité du jugement.

Le régime des universités du moyen âge avait à peu près disparu en France au XVIIIe siècle. Ce régime se continuait en Angleterre, en Allemagne, en Hollande, en Suède, et dans tous ces pays il est venu jusqu’à nos jours. On ne peut dire qu’en Angleterre un tel régime ait produit des résultats de premier ordre. Oxford et Cambridge ont eu au XVIIe et au XVIIIe siècle des hommes éminens, mais n’ont été le théâtre d’aucun grand mouvement. Ces vieilles institutions ont fini par s’endormir dans une routine, une ignorance, un oubli des grands intérêts de l’esprit, qu’on eût pu croire incura-