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en fait d’art, en fait de poésie. Il faut pour cela qu’il ait un dogme, qu’il soit classique ou romantique, qu’il prenne parti dans des choses absolument libres et relevant du choix de chacun. En patronnant la science, au contraire, l’état ne tranche aucune opinion controversée. Il s’agit de recherches positives, sujettes sans doute à mille discussions, mais où le goût individuel n’est pour rien. L’état n’est pas obligé de veiller à ce qu’il y ait toujours des gens s’occupant de faire des épopées ou des tragédies, mais il est obligé de veiller à ce qu’il y ait toujours des gens poursuivant l’investigation scientifique. En encourageant ces investigations, il ne prend parti pour aucune école, il sert seulement le mouvement général de l’esprit. Dans une société beaucoup plus perfectionnée et où la haute culture serait bien plus répandue, de tels encouragemens seraient inutiles ; mais dans notre société ils sont indispensables. La science n’est le plus souvent cultivée que par des personnes obligées de vivre de leur travail. Or la science, source de tout progrès, est par elle-même improductive. Elle enrichit celui qui met en œuvre, mais non le véritable inventeur. Ni Newton ni Leibnitz n’ont tiré aucun avantage pécuniaire de leur invention du calcul différentiel. Les vrais créateurs de la chimie n’ont pas profité des immenses fortunes industrielles que leurs découvertes ont fait faire. Cela est juste, car ils ont eu la gloire. En tout cas, cela est inévitable. Il faut donc que la société intervienne pour réparer cette injustice nécessaire dont elle bénéficie, je dis mal, pour faire des avances en une entreprise dont elle touchera les fruits.

Le moyen âge, qui n’avait pas l’idée de l’état, procédait ici par de tout autres voies. Le développement intellectuel et moral appartenait en principe à l’église ; mais la maîtrise des choses de l’esprit arriva bientôt à former dans le sein de l’église un ordre indépendant. Les universités, qui d’abord relevaient directement de l’autorité ecclésiastique, s’affranchirent peu à peu en s’appuyant sur la royauté, et formèrent une espèce de pouvoir, en partie ecclésiastique, en partie laïque, qui représenta la culture d’état. Le XIIe et le XIIIe siècle furent l’époque florissante de ce grand mouvement, qui rendit célèbres dans le monde entier la montagne Sainte-Geneviève, le clos de Garlande, les échoppes de la rue du Fouarre. Ce fut un mouvement fort original, surtout dans ses commencemens, une vraie renaissance, mais qui ne sut pas porter des fruits durables. Au XIVe et au XVe siècle, les universités sont en pleine décadence, envahies par le pédantisme, uniquement préoccupées de l’enseignement, ne faisant presque rien pour le progrès de l’esprit humain. La vraie et grande renaissance, celle que l’Italie a la gloire éternelle d’avoir fondée, se fait complètement en dehors des universi-