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artistes encore, entreprenaient de réformer l’imitation de l’antique en matière de sujets sacrés et, suivant le mot d’Orsel lui-même, « de baptiser l’art grec. » C’était à Flandrin toutefois qu’il appartenait d’opérer pleinement cette régénération, de consommer ce bienfaisant baptême. C’est lui qui nous renseigne, avec plus d’autorité que personne, sur les justes conditions de cette alliance entre l’orthodoxie des intentions morales et la vraisemblance ou la grâce des formes employées pour les traduire, entre le respect des plus sévères traditions du dogme chrétien et le souvenir des plus beaux exemples de l’art : tâche difficile, dont le noble artiste acceptait les deux termes avec les mêmes empressemens, la même foi, et qu’il poursuivait jusqu’au bout en se confirmant de plus en plus dans sa double croyance. Là où tant d’autres n’avaient fait, sous le règne de David, que remplir habilement un rôle, il se dévouait tout entier à une fonction, parce que chez lui le cœur était du même parti que l’intelligence. La piété ne le rendait pas plus rebelle aux émotions produites par le beau visible que le zèle de l’art ne le distrayait des contemplations métaphysiques, et lorsqu’au commencement de son séjour à Rome Flandrin écrivait à son frère pour lui demander « de l’outremer, des brosses et les Pensées de Pascal, » ne résumait-il pas ainsi sans y songer toutes les occupations, tous les désirs, toutes les passions de cette vie partagée entre le besoin de peindre les choses du ciel et le besoin aussi impérieux d’en méditer, d’en approfondir les mystères? Plus tard, en décorant Saint-Paul de Nîmes, il inscrivait, dans l’épaisseur d’un pli de la draperie du Christ et à la hauteur du cœur, les noms de son père et de sa mère, de ses frères, de sa femme et de ses enfans, de tous ceux qu’il avait perdus ou que Dieu lui avait laissés, de tous ceux qu’il avait aimés ou qu’il aimait. Était-ce donc pour afficher sa foi, pour en publier les tendresses? A la distance où la figure est placée, ces inscriptions sont absolument invisibles, et d’ailleurs Flandrin n’avait confié le fait qu’à une seule personne, en lui recommandant le secret. Non, un pareil ex-voto ne prétendait qu’au regard de Dieu et n’avait, sous la main qui le traçait, que le caractère sacré d’une prière. De notre temps peut-être assez de gens se rencontreront pour attribuer à quelque ressouvenir du moyen âge cet acte de piété naïve, plus d’un pourra s’en étonner comme d’une sorte d’anachronisme; mais personne assurément ne s’avisera de le blâmer, et, même parmi les incrédules les plus hautains, je défie qui que ce soit d’en sourire.

Les divers tableaux envoyés de Rome par Flandrin avaient été fort remarqués aux expositions à mesure qu’ils y avaient paru. Celui qu’il venait de rapporter pour le terminer à Paris, et qui allait à son tour figurer au Salon, le Jésus et les petits enfans, acheva.