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leçons que lui fournissait Rome, Flandrin passa les années de son pensionnat dans des efforts de plus en plus féconds, dans des progrès de moins en moins douteux. Une figure d’étude, Polytès, fils de Priam, observant les mouvemens des Grecs, figure peinte en 1834, à une époque où, comme l’écrivait modestement Flandrin, il s’agissait encore pour lui « non pas de faire des tableaux, mais de se mettre en état d’en faire; » — Dante offrant des consolations aux mânes des envieux, — Saint Clair, premier évêque de Nantes, guérissant des aveugles, tableaux appartenant aujourd’hui, le premier au musée de Lyon, le second à la cathédrale de Nantes; — enfin en 1838 Jésus et les petits enfans, grande toile à laquelle la ville de Lisieux n’a, dit-on, accordé ni une hospitalité digne de l’œuvre, ni même les soins matériels qui en auraient assuré la conservation, — tels sont, sans compter d’autres tableaux et d’autres études, les principaux envois de Flandrin pendant son séjour à Rome.

Nous n’avons pas à entreprendre ici un examen détaillé de ces différens travaux, pas plus qu’il ne nous semblerait opportun d’insister sur les mérites isolés, sur la valeur particulière des tableaux ou des peintures murales que Flandrin a successivement exécutés depuis son retour de Rome. Ces mérites, bien appréciés par tous à l’apparition de chaque œuvre nouvelle, n’ont plus besoin d’être signalés. Il suffira de rappeler ce qu’il y avait alors de personnel, de relativement nouveau dans la conciliation qu’il venait de tenter entre l’austérité de la pensée religieuse et la grâce sereine, la facilité paisible de l’expression. Le Dante, le saint Clair, le Jésus et les petits enfans, ont une signification aussi contraire aux intentions négatives ou païennes de l’école de David qu’aux audaces purement pittoresques de l’école romantique ou au sentiment laborieux et voulu, à la piété pédantesque qu’accusaient déjà certains travaux imités de la manière allemande et des œuvres du moyen âge. En reprenant ainsi des thèmes usés en apparence ou innocemment profanés, en les rajeunissant par la sincérité des inspirations et par le charme des formes, Hippolyte Flandrin ne donnait pas seulement la mesure d’un talent qu’on pouvait, à partir de ce moment, compter parmi les mieux informés et les plus sûrs; il rouvrait à l’art religieux dans notre pays une voie que, depuis Lesueur, nul peintre n’avait osé suivre ni même aborder, ou si quelques-uns essayaient dès lors d’y rentrer avec lui, aucun d’eux ne devait la parcourir ensuite avec autant de persévérance et d’éclat.

Certes il y aurait de l’injustice à tenir peu de compte des efforts tentés, il y a trente ans, pour renouveler parmi nous le fond et les dehors de la peinture religieuse. On ne saurait sans ingratitude oublier les travaux par lesquels Orsel, M. Périn, M. Roger, d’autres