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à l’élégance ténue des apparences, — voilà le programme admis et pratiqué de nos jours par bon nombre de peintres : talens ingénieux sans nul doute, mais trop préoccupés du désir de se montrer tels et qui, à force de prétendre exprimer la finesse, n’arrivent souvent qu’à en formuler l’affectation ou à nous en faire présumer le néant.

Hippolyte Flandrin est un peintre de plus haute race, et, sous des dehors délicats, de plus robuste tempérament. Sa manière loyale, véridique, sans ruse comme sans pédantisme, son imagination sévèrement renseignée, n’ont rien de commun avec les purs tours d’adresse, avec les intentions ou la science à fleur de peau, qui trop souvent réussissent ailleurs à nous séduire. Là où d’autres s’évertuent, sous prétexte d’harmonie, à tout affadir, à diminuer, à supprimer presque le relief des formes ou à en égratigner le coloris, Flandrin cherche de bonne foi dans la réalité les élémens de l’effet, de l’illusion qu’il veut produire. Je m’explique : l’art certes, et un art très personnel, n’est pas absent de ces imitations, si fidèles qu’elles soient, si naïves qu’elles puissent paraître. Cette sincérité en face du fait n’exclut pas, tant s’en faut, chez le peintre le droit d’interpréter ce qu’il a vu, d’exprimer ce qu’il a senti à propos des modèles donnés; mais ces modèles, il en accepte franchement les caractères, il n’en récuse ni l’autorité matérielle, ni l’esprit: il s’assimile les propriétés de la nature qu’il analyse, au lieu de les éprouver si bien au creuset qu’elles s’évaporent en fumée ou se condensent en résultats inertes. De là l’incontestable beauté de ses portraits, cette expression de vie extérieure ou intime, cette signification si nette qu’ils présentent au premier coup d’œil.

)N’exagérons rien toutefois. Dans ces œuvres sans équivoque, il est vrai, peut-être faut-il admirer les témoignages d’une rare sagacité, le don et le talent de la persuasion, plutôt que l’éloquence à force ouverte. Peut-être le trait tout à fait déterminant et incisif, cette pointe d’exagération qui accentue les choses et en incruste le sens d’un seul coup dans l’esprit, font-ils un peu défaut là même où l’explication semble absolue et le style le plus irréprochable. Voilà pourquoi, si beaux qu’ils soient, les portraits qu’a laissés Flandrin ne sauraient être estimés à l’égal des portraits peints par M. Ingres. C’est pour cela aussi que, parmi ses nombreux ouvrages en ce genre, ceux qu’il a faits d’après des femmes nous semblent, en général, préférables aux toiles où il a représenté des hommes. Sans doute, dans ce dernier ordre de travaux, il a produit des morceaux d’une bien grande valeur, et, pour n’en citer que quelques-uns entre les plus récens, le portrait de l’empereur et celui du prince Napoléon, les portraits de MM. Marcotte-Genlis et de