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Rothschild, prouvent assez que son pinceau n’ignorait rien des variétés de la forme et de la physionomie viriles; mais ne savait-il pas mieux encore rendre la physionomie et les formes dont la traduction exige surtout des qualités en dehors de l’énergie? Tels portraits de femmes peints par Flandrin ont une grâce calme, une expression de gravité sereine qui semble résumer les inclinations les plus naturelles et les habitudes les plus chères de son talent. D’autres, par le charme un peu attristé des intentions et du style, sont de véritables élégies pittoresques, non pas à la façon de certains portraits contemporains aux apparences défaillantes et malingres jusqu’à l’effacement de la vie, mais dans le sens de cette poésie discrètement mélancolique que respirent quelquefois les toiles d’Andréa del Sarto. Est-il besoin d’ajouter que nulle part on ne surprendrait une arrière-pensée de madrigal, encore moins une concession à ces élégances de mauvais aloi qui accusent ailleurs les étranges complaisances ou les coquetteries intéressées des modèles? On l’a dit avec raison, personne mieux que Flandrin ne peignit les honnêtes femmes, et d’un pinceau plus chaste et plus réservé; nul même ne réussit aussi bien, de notre temps, à comprendre la grâce dans son acception la plus simple et la plus familière, à la définir sans demander secours aux moyens accessoires de séduction.

Hippolyte Flandrin se défie en toute occasion de ce qui pourrait impliquer la moindre idée de futilité, exprimer trop ouvertement la richesse, se présenter, à quelque titre que ce soit, sous une apparence un peu exceptionnelle. Je ne crois pas qu’il lui soit arrivé une seule fois de peindre une femme en habits de fête, ni de chercher à étonner le regard par le choix d’une pose ou d’un air de tête imprévu. Les femmes que son pinceau retrace portent le plus souvent des vêtemens noirs ou tout au moins de couleur sombre, presque toujours aussi elles nous apparaissent dans l’attitude la plus simple, la plus accoutumée, comme s’il s’agissait bien moins pour elles de se montrer que de se laisser voir. Et cependant quoi de plus éloigné de la monotonie que ce mode de représentation uniforme? Combien de nuances délicates, de différences intimes entre ces travaux appartenant au même ordre d’inspirations, mais à des inspirations vivifiées et rajeunies en raison des conditions spéciales et des exigences de chaque tâche! Sans doute, dans ses portraits comme ailleurs, Flandrin a une « manière, » c’est-à-dire une méthode qui lui est propre, une façon particulière de formuler ce qu’il a senti. Sans parler de certains procédés de composition ou d’effet, de la couleur presque invariable des fonds par exemple, les moyens qu’il emploie pour rendre les inflexions diverses de la ligne ou du modelé permettent de reconnaître chez l’artiste des habitudes une